Marseille

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2022

Si l'on décide d'entrer dans Marseille par la corniche, en direction de la plage des Corbières, le paysage dévoile une beauté inconnue. Cette route est peu fréquentée, et longe la côte un long moment avant de rejoindre la ville. Il faut choisir son moment, celui où l'on comprend pourquoi l'on est venu si tôt pour voir le spectacle.

D'abord, c'est un rebord rocheux qui fait signe. Et sur un air des Red Hot Chili Peppers, Black Summer, la voiture fait alors face à la mer. Immense, scintillante, les vagues calmes donnent à l'eau qui dort un reflet tantôt azur, tantôt cyan, tantôt ivoire. Seul un pont en pierre vieux comme le monde ose découper le manteau bleu hypnotisant.

Sur la gauche, un garage à bateaux se découvre dans un creux rocheux. Le modèle est petit, mais coloré et attirant, comme un enfant dont on ne peut résister aux joues rondes. Quelle vision poignante que de voir des coques multicolores souriant au soleil alors que le sol est dur. Le silence des pierres est le meilleur miroir de leurs âmes tristes, loin de la vie en mer. Un grand portail les entourent, enfermant ces symboles de liberté, prétextant la protection contre l'avarice des hommes. Quel paradoxe que de constater que l'humain est capable de rêver, puis de détruire ses propres moyens d'émancipations.

La nature reprend ses droits. La route se rétrécit alors que les bords en pierre prennent du volume et que la forêt retrouve son désordre équilibré.

Ça ne dure pas longtemps. En face, c'est le début de la civilisation humaine. Un village de pêche montre son nez. Les rues sont en dédales, les maisons en vieilles pierres, et les escaliers sans queue ni tête. De nombreuses rambardes en fer forgés ponctuent le tableau. Les habitations s'empilent, kaléidoscope de couleurs. Le charme des lieux ressemble à celui des vieux labyrinthes, où la nature reprend ses droits et où le désordre vient détruire l'ordre moderne, humain et non naturel.

Cette fois, les navires étaient dans l'eau. Ils étaient parqués comme des bêtes, nombreux, s'éloignant à l'horizon dans une longue file où chaque centimètre carré était utilisé, loué, vendu. L'air même s'étouffait dans ce lieu monétisé. Les quais étaient propres, blancs, invitant les touristes et les acheteurs à jeter un œil à la Marina dont la beauté était rehaussée par cette mer, mère intemporelle et intransigeante. Derrière eux, leur grand frère, bateau de croisière, leur faisait de l'ombre. Les volutes de fumée noire crachées par ses cheminées avertissaient les regards curieux. Il était prêt au départ. Sur son flanc, le mot "Corsica" prenait le soleil.

Puis à nouveau cette nature prit la place. Comme un choix laissé par les hommes de montrer un respect artificiel envers le monde qui les entoure. Elle ponctué l'espace, laissée aléatoirement par la main humaine. Celle-ci contrôle et choisit quel arbre vit et quel arbre meurt, sans respect.

Longeant la mer, la zone industrielle des Corbières est un terrain mort, sans vie. Tout est gris. Les assurances, concessionnaires automobiles, et autres locaux à louer se chamaillent pour attirer l'œil du citadin passif. Il n'y a aucune beauté dans cet amalgame de profits et de plaisirs matériels.

Le silence se poursuit. La route rencontre un cimetière de containers. Le calme n'est pas celui des sourires sans lendemain, mais celui des visages apaisés après la longue vie passée. La sérénité des vieilles carcasses est inimitable, comme celle des musées où l'histoire s'écrit.

En face, le village laisse place à la ville où quelques traces magiques subsistent : les rues sinueuses continuent de s'exiler vers la montagne et les escaliers en pierre contribuent au charme des bords de mer.

Cependant, la ville a également un code de conduite propre à elle. Les multiples déchets jonchant les rues sont une bien trop faible représentation visuelle de l'âme des citadins, noircies par la suie et la pollution. Quelques plantes tentent de survivre, mais elles disparaîtront bien vite par souci de propreté et de modernisme. La tendance humaine est héréditaire. Les hommes sont incapables de comprendre la beauté de la nature. Comme disait  le philosophe Bertrand Vergely, l'humanité joue avec sa propre destruction.

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