Le fantôme de Calzone

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2021

A l'est du village de Calzone se trouve un ancien château. Personne ne sait depuis quand il existe, ni depuis quand il est abandonné. La mairie y a interdit l'accès car l'état des ruines pourrait amener à un incident involontaire.

Cependant, depuis quelques nuits, on entend des bruits en écho provenant du château. Les rumeurs au village ne parlent que de fantômes et autres monstres de contes.

L'ancienne bibliothèque a même été prise d'assaut afin de satisfaire ce désir insatiable de savoir et d'imaginaire. Parmi ses murs, elle abrite les archives de l'époque, et autres secrets royaux. On n'avait encore jamais vu pareille foule entre les étagères de livres. La frénésie se calme cependant bien vite. Les curieux sont nombreux, mais peu sont téméraires malgré l'échec des premiers indices.

Deux semaines plus tard, on s'arrache le nouveau numéro. La Gazette de Calzone vient de révéler que le dernier seigneur du château, Enrico de Calzone, n'avait jamais fait acte de sa mort. Les esprits s'échauffent vite. L'on parle alors de revenants, de fantômes ou encore de vampires et autres immortels.

Mais bien vite, la surprise et la curiosité laissent place à la peur. Car, sans prise sur le temps, le silence de chaque nuit est brisé par des hurlements venus des ruines. Lorsque vient l'hiver, le froid mordant tue les cultures, et les murs se fissurent sous le vent hurlant. La famine et le froid gèlent le cœur des villageois. En plein milieu de la saison froide, le mystère du château finit par devenir la source du malheur. S'ensuivit alors la panique, la colère, puis la vengeance.

L'on appelle à la battue, à chasser le démon qui a élu domicile près du village. Chaque jour, c'est le rassemblement des foules, la prière à l'église, et le regard de braise sur les ruines à l'est. Seule la petite bibliothécaire, avec ses boucles rousses et lunettes si rondes qu'elles lui prennent la moitié du visage, reste sceptique. Elle passe son temps dans sa boutique, relisant les cahiers de légendes et autres archives. Malgré son air rêveur, elle ne pense pas que l'âme perdue du château puisse faire peur à ses carottes, et rendre sa maison encore plus froide que l'année passée.

Un jour, alors que les cris des villageois dans la rue sont assez forts pour la faire quitter son refuge à l'odeur d'encre sur le papier, elle décide d'aller à la rencontre du mystère. Les regards de braise ne sont pas loin de s'enflammer irréversiblement.

Direction l'est. Le bonnet sur la tête, et l'écharpe bien serrée autour du cou, la petite aventurière prend son courage à deux mains, et quitte le village. Dans son sac, elle n'oublie pas un exemplaire de son livre préféré, pour lui porter bonheur.

Après une heure de marche, elle arrive sur les lieux. Le château est en ruine, seule une tour reste pointée vers le ciel, le reste de la structure tient à peine debout.

- Gloups...

La bibliothécaire avale sa salive et pousse la porte du château. Celle-ci s'ouvre dans un grincement strident, faisant vriller les gonds. Ne pouvant la retenir, la porte claque violemment contre le mur, menaçant le château de s'effondrer. Aussitôt, des cris s'échappent du cœur des ruines. Ce sont les mêmes qui terrifient le village. La jeune femme suspend son geste, même s'il est déjà trop tard, paralysée par la peur.

Elle prit une grande inspiration :

- Allez, reprends-toi. Les fantômes, ça n'existe pas.

La rouquine entre dans le château.

Sous ses pieds, le parquet grince. Elle avance à tâtons, cherchant le chemin le plus solide. Les cris continuent, semblant de plus en plus distincts au fur et à mesure de son exploration. Elle finit même par s'étonner de la ressemblance avec un animal qu'elle connait bien.

Lorsqu'elle arrive enfin, à ce qui semble être le salon commun du château, elle reste figée par le spectacle. Le toit ne couvre qu'une partie du salon, l'autre côté est plongé dans les rayons dorés du soleil au soir. Les plantes et les arbres poussent entre les pierres, transformant les lieux en un jardin féerique. Au centre de la pièce, un seul fauteuil semble avoir été épargné par le temps. Mais il porte de nombreuses marques de griffes.

Elle s'approche. Un nouveau cri la met en garde, elle tourne la tête. Pas loin du fauteuil, un duo de chats la fixe, effrayés. Un brun, dont la patte coincée l'empêche de bouger, semble très affaibli. Son compagnon, tout de blanc vêtu, le protège férocement.

- Serait-ce leurs miaulements...

La petite bibliothécaire s'avance doucement. Les mains tendues vers le duo, elle leur sourit. Il semble qu'il n'existe ni fantôme, ni vampire en ces lieux. Seul un couple de félins blessés qui tente de survivre par ce froid depuis tant de temps... Malgré la garde du chat blanc, elle dépose sur son compagnon plus sombre son écharpe. Il tremble tant. Elle esquive quelques coups de griffes, puis recule à nouveau.

- Comment les aider...

Elle fouille ses poches, et récupère des biscuits aux noix. Elle hume la délicieuse odeur de la gourmandise et la présente à ses nouveaux amis. Tout d'abord méfiant, le protecteur vient chercher le biscuit et retourne le partager avec l'autre chat.

Un sourire, une friandise. Leur amitié commence ainsi.



La rouquine ne compte plus le nombre de temps qu'elle passe avec eux, ni le nombre de jours où elle retourne les voir. C'est tantôt pour les nourrir, tantôt pour soigner le brun. Le brun, qu'elle nomme Chocolat, est un mâle qui reprend petit à petit la forme. Le blanc, Chantilly, est une femelle protectrice.

Lorsqu'ils lui firent suffisamment confiance et que Chocolat fut sur pied, elle les prit avec elle.

Les ruines devinrent un nouveau lieu de légende et de lieux touristiques. Les courageux qui osèrent s'aventurer là-bas pour chercher l'immortel Enrico de Calzone ne trouvèrent que sa tombe.

En attendant, la petite bibliothécaire ne fut plus jamais seule pour savourer ses longues soirées d'hiver au coin du feu, avec un bon livre jamais loin.

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