Gabriel, l'oiseau de Maris

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2022

- Où vas-tu Gabriel ?

- Je m'en vais.

- Tu quittes la ville aujourd'hui ?

- C'est mon dernier jour si je veux explorer le monde.

- Mais...

Gabriel volait dans le ciel.

Du haut de son dirigeable, il était difficile de ne pas le remarquer. C'est pourquoi ils étaient actuellement dans les champs de blé de la ville, loin de la foule et des regards curieux. Avec ses lunettes d'aviateur, le jeune homme affichait un sourire d'excitation depuis le début de la journée. Il partait enfin.

C'était un rêveur, un justicier, dont les nombreuses opinions avaient tant fait parlé. Il savait qu'il avait cette liberté d'esprit qui ne plaisait pas dans la capitale de Maris. On le connaissait et on le reconnaissait bien, et depuis le temps, il était sûrement surveillé. Un rebelle, un vaurien dirait-on. Gabriel ne se souciait pas de sa réputation, il en avait tant fait pour exposer sa façon de penser. Un oiseau blanc passa près du dirigeable, le jeune homme l'envia immédiatement. Il aurait voulu être l'oiseau de Maris. Il avait à présent compris qu'il n'arriverait jamais à faire comprendre à son entourage l'illusion dans lequel ils vivaient.

Dans cette ville, tous les habitants vivaient constamment sous l'œil du conseil, et ils étaient entraînés à ne pas poser de questions. Dans chaque habitation, un robot nommée Perestre était chargée des tâches ménagères et veillait à ce que la maison reste propre, que le frigo soit bien rempli, et que les choses soient faites afin que son maître n'ait pas à se soucier de ce genre de banalités. Les gens avaient accueillis l'invention comme un miracle, Gabriel en était horrifié.

Si Perestre ressemblait à un humain en plus petite taille, avec sa peau noire et son troisième œil sur le front, elle était loin d'en être un. Il s'agissait d'une création du conseil et enregistrait tout ce qu'elle voyait. Si un geste dépassait les lois de la ville, la brigade était appelée sur place. Pour la sécurité, disaient-ils.

Gabriel haïssait tant Perestre qu'il dormait le plus souvent à la belle étoile, loin de sa maison.

- Tu ne veux plus vivre ici ?

- Tu me poses sérieusement la question, Téa ?

La jeune femme était au sol, à quelques mètres de lui. Elle portait l'uniforme de la ville là où son ami l'avait déchiré dès le premier jour d'école. Il portait d'ailleurs des affaires à son grand-père, retrouvé dans les malles du grenier, et se faisait sans cesse retoquer sur ses nombreux infractions au règlement. Gabriel voyait en cette différence ce qui les séparait tous les deux. Téa était liée au système, et était malheureusement trop peureuse pour s'enfuir et partir avec lui.

- Et ta famille ? Et tes amis ?

- Je ne veux pas qu'on contrôle ma vie.

A Maris, une des lois stipulait que lorsqu'un jeune adulte finissait ses études, le conseil choisissait pour lui le meilleur travail qui lui conviendrait. Ils prenaient en compte sa personnalité, ses notes, ses aspirations, ... L'entretien de Gabriel était prévu pour le lendemain. Bien qu'il aurait adoré entendre ce que le conseil lui réservait, il leur aurait sûrement ri au nez, il souhaitait partir avant de se faire enfermer dans une vie qu'il ne pourrait jamais aimer. Le conseil n'aimait pas son humour.

Téa tentait à nouveau de le retenir.

- N'est-ce pas plus simple de ne pas avoir à chercher pendant de nombreuses années ce qui nous va le mieux ?

- C'est faire preuve de fainéantise ! Et je ne veux pas qu'on réfléchisse à ma place.

Gabriel s'éleva encore plus haut dans le ciel. Téa restait au sol, en se cachant les yeux du soleil, de son soleil. Elle ne pouvait rien dire pour convaincre son ami de rester, et cela faisait déjà plusieurs jours que la conversation s'éternisait.

- Et tu reviendras ?

- Je ne sais pas. Quand j'aurais trouvé ce que je veux faire, sûrement, et que la ville sera prête à m'écouter.

Le silence s'installa entre eux. Cela ne serait sûrement jamais le cas, et ils le savaient tous les deux. Gabriel plissa les yeux sur le lointain.

- Un Perestre approche, je vais y aller pour de bon.

- Envoie-moi des lettres ! Et ne m'oublie pas !

- Promis.

Un dernier regard à la ville dans laquelle il était né, et il s'envola loin d'elle avec le sentiment de briser ses chaînes. Le jeune homme avait envie d'air pur, de s'éloigner de cette vie où chaque geste était filmé, enregistré, noté. Pas un seul soupir ou remarque n'était accepté. Il voulait vivre loin de tout ça.

Il voulait être libre de penser, un oiseau blanc.

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