Le pacte de la vengeance

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2021

Il était là, le démon. Il ravageait l'église, piétinant la foi et les cœurs de nos frères et sœurs. Son rire secouait les murs et intimait en chacun une peur insondable, celle qui transformait les nuits en ténèbres, et l'espoir en poussière.


Depuis que l'explosion avait illuminé le clocher saint d'une flamme incandescente, l'enfer se déchaînait dans la paroisse Saint Denis. Le feu, les hurlements et la panique avaient envahi la nuit.

Il était tard, et pourtant, on y voyait comme en plein jour. Alors que les cris résonnaient et que les respectables s'enfuyaient en courant, une femme marchait lentement. Comme si elle dansait au rythme d'une musique intérieure, riant entre deux pas, elle semait sur son chemin une file de cadavres.

Elle tenait dans sa main une craie blanche. La jeune femme la laissait courir sur les murs, traçant une ligne blanche sur sa route. Et lorsque l'envie et l'occasion se présentaient, elle dessinait une formule, un pentagramme, un symbole, ... l'instant d'après, ce n'était plus que des flammes, des ruines ou des ombres malsaines. Elle avait pactisé...

Une voix s'écria alors :

- Démon !

Elle se retourna lentement, le regard glacial. Dans son dos, un prêtre brandissait une croix d'une main crispée, presque blanche. Elle le reconnut immédiatement, il avait pris de l'âge depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. A l'époque, c'était encore un jeune qui venait d'être muté. Il s'était agenouillé, les mains jointes sur son chapelet. Il récitait les écritures saintes, priant le père pour le salut du monde.

Elle sourit et s'avança vers l'homme. Bien que des gouttes de sueur perlaient sur son front et que ses yeux étaient exorbités par la peur, il continua à psalmodier. C'était un véritable homme de foi, cependant...

La jeune femme s'accroupit à sa hauteur.

- Ça ne marchera jamais...

Elle pencha la tête, ses longs cheveux d'or brillèrent sous la lumière des flammes qui ravageaient l'église. Ses yeux de miel se fixèrent sur le chapelet qui tremblait.

- Savez-vous pourquoi...?

Le prêtre ne répondit rien, continuant son psaume. Le sens de la question semblait dépasser la situation actuelle, comme si la jeune femme avait gardé ce "pourquoi" depuis très longtemps.

La destructrice, de ses belles mains blanches, glissa la craie sur le front de l'homme à genoux. Lentement, trait par trait, elle dessina un pentacle tandis que le prêtre, paniqué, se rattachait au seul espoir qu'il lui restait : un miracle.

La jeune femme se rapprocha, et chuchota d'une voix douce :

- Les véritables démons sont entre ces murs...

Elle fit claquer sa langue.

- J'exorcise méthodiquement, briques par briques, ceux qui, chaque jour...

De ses yeux de miel, elle fixa le regard éberlué du prêtre. Il semblait avoir compris. S'il était complice, elle n'allait pas le laisser vivre. Son regard presque joyeux s'assombrit.

- ... détruisent des centaines de vies.


- Hanaé ?

Elle hésita, à l'énoncé de son nom. Il lui rappela de douloureux souvenirs. Des bribes lui revinrent en tête mais elle les chassa, ce n'était pas le moment. Elle termina le cercle maudit d'un geste furieux, et l'homme de foi vit sa tête exploser quelques secondes plus tard. Son corps resta un instant dans la même position, suppliant un être distant, comme par ironie, avant de s'effondrer au sol. Loin d'être satisfaite, la jeune femme essuya le sang sur son visage d'un air dégoûté.

Hanaé détestait ces lieux, ces hypocrites aux sourires factices, et ces statues bienveillantes à l'entrée du repaire de cet enfer. Elle ria. Elle avait toujours trouvé ironique que Saint Denis promulgue l'amour, la paix et l'entraide, alors qu'elle n'avait jamais subi pire qu'entre ses murs.

Après avoir pris d'autres vies qu'elle jugeait impures, elle déambula dans le jardin intérieur du cloître. Il avait été construit récemment, juste à côté de l'église.

La jolie blonde leva les yeux, au-dessus d'elle se trouvait la chambre du père supérieur. Autrefois, c'est de ces vitres qu'elle contemplait l'horizon, seule gaieté dans ce monde.

Soudainement, elle crut apercevoir du mouvement. Toute sa haine ressortit, mais également ses peurs les plus profondes. Elle lâcha la craie qui s'échoua sur un parterre de fleurs. Elle serra ses poings de toutes ses forces, ses ongles transperçant sa peau et faisant couler des filets de sang.


Ses lèvres tremblèrent.

- Oh toi, qui a brisé la vie de tant d'enfants comme tu as fais avec la mienne,

Elle inspira difficilement de l'air.

- Oh toi, qui n'a créé qu'un enfer sur terre, qu'un repaire de hyènes,

Tandis qu'Hanaé chantonnait, elle se baissa et ramassa sa chère craie blanche. Celle-ci la suivait depuis la première fois qu'elle avait transmis ses larmes à même la pierre.

- Toi, qui te cache derrière ces murs pour que personne ne voit ta perfidie,

Un pas, un souvenir. Elle avança vers le seul bâtiment encore intact.

- Toi, à qui la grande parole avait été prédit,

Elle traça un immense cercle sur le mur, la voix tremblante, mais la main ferme. Le pentagramme se fit de plus en plus compliqué et, au fur et à mesure, se colora de rouge.

- J'ai pactisé avec le diable en échange de mon âme,

Du bas de la tour, elle pouvait le voir. L'ombre près de la fenêtre n'était pas une de ses hallucinations, il s'agissait bel et bien de l'homme qui avait volé son enfance, et son innocence. Le jour où elle avait décidé de se venger, c'était lorsque ses amis s'étaient suicidés par sa faute, ne comprenant pas la raison de leur douleur.

- Afin de punir le pécheur infâme !

La craie se brisa sur le dernier trait effectué. Hanaé était pâle. Son sang maculait la pierre, et propageait la malédiction à tous ceux qui avaient participé à l'horreur entre ces murs.

Alors qu'elle s'effondrait au sol, l'homme à la fenêtre se vida de son sang. Plus loin, alors que de nombreuses sœurs et hommes d'églises couraient dans les champs, ils hurlèrent et tombèrent les uns après les autres.

Elle sourit, incroyablement belle avec ses cheveux d'or, ses yeux de miel et sa peau immaculée. Puis elle ferma les yeux, fatiguée de sa vengeance, et soulagée.

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