Chapitre dix-neuf

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Ma sœur Daisy est enfermée dans la couronne de ma mère.

Ma sœur.

Daisy.

Ma sœur aînée, Daisy, est enfermée dans le bijou de ma mère.

Daisy.

Non.

Ce n'est pas possible.

Ma Daisy. Ma sœur.

Non. Je n'y crois pas.

Daisy.

Non. Ce n'est pas vrai.

Non.

Daisy.

Non. Non. Non.

Non !

Cette entité me pourrira la vie jusqu'à ce que je cède. Elle a en plus déjà pourri mon monde. Ma maison. Ma mère est transformée en statue. Mon père a disparu. Et maintenant, ma sœur est prisonnière dans un diadème. C'est quoi la prochaine étape ? Tout le monde va être transformé en poules géantes ? Parce que je ne suis pas prête à avoir des plumes dans mon derrière.

Il ne me faut pas plus longtemps pour stopper ces pensées saugrenues qui fusent et réagir. Je me lève et me précipite dans la chambre de ma tante, sans même frapper à la porte, faisant le plus de vacarme possible pour que tout le monde se réveille. Je manque de trébucher devant l'encadrement de ma porte, ce qui accentue mon bazar, même si mon hurlement après le rêve a sûrement déjà contribué à les alerter, comme à chaque fois que je rêve.

— Tante Martine ! Tante Martine !

Ma tante, déjà à moitié réveillée, se redresse. Elle cherche à tâtons dans le noir la lumière tout en s'affolant.

— Lili ! Que se passe-t-il ?

Des pas dans le couloir m'indiquent que mes deux amies ont bien été alertées par mon vacarme.

— Lili ! s'exclame Stella en me regardant avec un air paniqué, les cheveux en bataille et le regard plein de frayeur.

Savana ne tarde pas à arriver à son tour, aussi affolée que moi et aussi bien coiffée que nous toutes au sortir du lit.

Les trois êtres féminins qui m'entourent me regardent, scrutent mon visage à la recherche d'un indice tandis que je reprends ma respiration, qui s'est accélérée.

Je tente à plusieurs reprises de stopper les tremblements de mon corps mais rien n'y fait, je perds le contrôle.

Une fois à moitié calmée, je tente de déglutir. Une fois, deux fois, trois fois.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Je me noie.

Mes tempes maculées de sueur me font mal, tout comme mon estomac qui s'est noué.

Je tente pourtant de parler. Une fois. Deux fois. Trois fois, tandis que les filles poussent des cris, ne voulant qu'une chose, savoir ce qui se passe.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Je me noie.

Tout est flou.

Stella tape du pied et me hurle de lui dire ce qui se passe. Ma tante fait de même, tandis que Savana ne sait pas comment réagir.

— Ma sœur... Daisy... couronne... mère, balbutiné-je.

— Tu as dit quoi ? s'insurge Stella, devenant de plus en plus hystérique à mesure que les secondes défilent.

Je tente une seconde fois de parler mais c'est comme si ma gorge me brûlait. Les sanglots se mêlent aux tremblements et je dois lutter pour rester consciente.

J'attends encore quelques secondes. Les filles hurlent encore mais ma tante se calme pour leur ordonner de me laisser reprendre le contrôle.

Lorsque je vais mieux, je souffle deux ou trois fois puis le silence s'installe dans la pièce, rendant la situation davantage horrifiante.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Je me noie.

— Ma sœur Daisy est enfermée dans la couronne de ma mère.

Une fois.

Je n'ajoute ensuite plus rien et laisse les filles digérer la nouvelle.

— Tu as dit quoi ? crie Stella en sortant de ses gonds.

— Ma sœur est coincée dans la couronne de ma mère. C'est pour ça que la voix m'était familière ! Et qu'elle m'appelle constamment !

Savana est sans voix elle aussi. Je la vois s'appuyer sur le rebord du lit pour ne pas partir en vrille.

— Cette situation me dépasse vraiment, chuchote Savana.

Cette situation me dépasse aussi, si bien que je finis par devoir m'asseoir sur le lit de ma tante. Me prenant la tête entre les mains, j'essaie de réfléchir mais les idées fusent à tout vitesse. La douleur se développe tandis que je tente tant bien que mal de penser à une solution à opter.

Que dois-je faire ? Comment libérer ma sœur du diadème ? Comment vaincre cet abominable créature qui menace de détruire tout ce qui a été construit jusqu'à présent ? Comment faire pour vivre ? Parce que là, je survis.

Alors que je médite, l'intérieur de moi commence à me ronger. J'essaie de l'ignorer mais la douleur devient de plus en plus forte, si bien que Stella m'offre un sourire timide et Savana se rapproche de moi.

Mon cerveau commence à fumer intérieurement et tout se déchaîne dans mon corps. Mon sang, aussi bouillant qu'une mer de feu, mon âme, aussi divisée qu'un vase que l'on a fait tomber et mon esprit, aussi confus qu'un problème complexe de mathématiques, me rendent soudain nauséeuse.

— Ça va aller, me rassure Savana en posant une main réconfortante dans mon dos.

— Non, ça ne va pas aller, s'emporte soudain ma tante. Lili, tu es toute rouge ! ajoute-t-elle ensuite avec une voix crescendo, ce qui nous fait toutes sursauter.

J'arque un sourcil interrogateur devant cette surprise et je sens mon cœur dépasser les limites.

— Lili, crie à son tour Stella.

Ma vision se brouille tandis que mes mains se mettent à se mouvoir de manière incontrôlable.

Stella me regarde comme si j'étais en train de me transformer en monstre. Puis elle sort à toute vitesse de la pièce et revient quelques secondes après, un miroir à la main.

— Lili, tu es en train de devenir aussi rouge qu'une tomate !

Elle me tend ensuite le miroir et c'est là que je me vois. Je suis rouge et j'ai même envie de vomir.

Et puis boum, c'est le trou noir. Je tombe.

Dans le néant.





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