Ne rien laisser paraître
Quelque temps auparavant
Les glaçons ont fondus dans mon verre. Je m'amuse à faire tourner le liquide au fond, mon visage posé au creux de ma main. Les effluves de mon cocktail sans alcool recouvrent à peine les odeurs de transpiration qui saturent la pièce trop hermétique à mon goût.Je me demande encore comment Natasha a réussie à me traîner dans cette boîte de nuit. Je déteste être là et je tue le temps comme je peux. Mon amie, elle, se déhanche sur la piste comme si sa vie en dépendait, balançant ses mèches rousses de droite à gauche. Je ne compte plus le nombre de mecs qui la scrutent de leur regard lubriques ou embué de vodka. Je ne lui porte pas secours, car je sais pertinemment qu'elle adore être le centre de l'attention. Pour autant, je préfère regarder de temps à autre qu'elle ne fasse pas de signe qui voudrait dire « au secours vient me dépêtrer de là!». Mais non, aucun signal en vue!
Cela fait des semaines qu'elle me demande, ou plutôt qu'elle me supplie de l'accompagner car paraît-il «cela me fera du bien de prendre l'air». En réalité, j'ai plutôt l'impression d'étouffer. Les gens sont trop proches, la musique agresse mes tympans et se répercute dans ma tête qui semble sur le point d'exploser. J'entends leurs rires, je sens leurs corps qui frôlent le mien et je me concentre sur le liquide jaunâtre qui survit au fond du contenant que je serre de plus en plus fort entre mes doigts.
Il faut que je me détende ou je vais le briser en mille morceaux. J'inspire lentement avec le nez puis expire tout aussi doucement avec la bouche. Je réitère plusieurs fois comme me l'a conseillé ma psychologue. J'ai l'impression de gonfler un matelas, mais à part ça, je ne ressens aucun effet bénéfique. Pour preuve, je ressens encore crépiter mes nerfs sous ma peau.
— J'imagine que c'est moi que vous attendez, mademoiselle?
Je baisse le visage, espérant que cela suffira à faire disparaître le propriétaire de cette voix qui vient briser ma bulle. Mais il ne semble pas comprendre et s'approche de mon oreille pour répéter sa phrase un ton plus fort. Je sursaute et fais tomber mon verre. Le jus de fruit se repend sur le comptoir jusqu'au coude d'une jeune fille blonde sur ma gauche qui se retourne précipitamment.
— Mais tu ne peux pas faire, non? m'engeule-t-elle avec véhémence.
Plusieurs regards convergent dans ma direction alors que je tente de m'excuser. Ma voix s'étrangle dans ma gorge sous l'effet de la honte et la jeune fille ne semble même pas m'entendre. Ses copines, beaucoup trop jeunes pour être là, me lancent des injures que je comprends à peine. Je fouille dans mon sac à main pour en sortir un mouchoir que je lui tends. Elle grimace en voyant le morceau de papier recouvert de personnages de dessins animés qui pend entre mes doigts.
— Pardon, je...
— Garde ça pour tes sales mioches! me balance la jeune fille en ricanant.
Elle fait son intéressante devant ses amies, elle n'a pas conscience de la balle perdue qu'elle vient de me tirer en plein cœur. De toute façon, il est déjà blessé, elle ne fait au pire qu'appuyer sur cette blessure lancinante qui semble me tuer à petit feu. Là tout de suite, je la déteste, mais je ne le lui dirais pas. Je tairais les mots qui me brûlent ma gorge car elle ne sait pas. Elle ne peut pas savoir ce que je vis, comment pourrait-elle le deviner en me voyant ici ? Que pourrait faire une maman endeuillée dans une boîte de nuit ?
C'est de ma faute, je n'ai rien à faire là, je n'ai pas à déranger le bonheur des autres. Je suis un intrus parmi ces personnes qui ne peuvent pas comprendre.
Je murmure un «ok » à peine audible avant de me lever de mon siège inconfortable et de me diriger vers mon amie qui ne s'est rendu compte de rien. Je sens les larmes serpenter au bord de mes yeux et je serre les dents pour les empêcher de s'échapper. Pas maintenant, pas devant tous ces inconnus. Je tente de me frayer un chemin parmi les danseurs et reçois quelques coups au passage malgré mes esquives. Quand j'ai enfin atteins Natasha, je tapote son épaule doucement. Elle se retourne gracieusement, le sourire jusqu'aux oreilles.
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Sink with you
RomanceMon cœur est broyé, mon âme est meurtrie. J'ai perdu la seule chose qui me donnait le goût de vivre. Continuer chaque jour à respirer est devenu une torture silencieuse. Mais une nuit, la vie décide de me rattraper. Une pluie battante, un dérapag...