Chapitre 8

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Me voilà de nouveau affublée des vêtements stériles qui me permettent l'accès à la chambre de mon petit ami factice. Avant de pousser la porte, je tente de débloquer le nœud qui s'est formé dans mes intestins. J'ai encore plus le trac que si je devais passer une audition de chant. Et dieu sait que je chante comme une casserole!

C'est une très, très, très mauvaise idée, je le sens.

Quand je pénètre dans la pièce, ses yeux immenses se cramponnent immédiatement aux miens, me clouant sur place.

J'avais prévu de lancer nonchalamment un " coucou chéri" ou une phrase bateau qui va dans le même sens, mais maintenant que je suis là, les mots se meurent au bord de mes lèvres.

Plongée dans un mutisme contemplatif, je me surprends à ouvrir la bouche comme un poisson hors de l'eau. Peut-être est-ce parce que je me sens coupable de mener ma petite usurpation si loin? Ou alors est-ce simplement lui qui me fait cet effet? En même temps, il est impressionnant, je dois l'avouer. Non pas que ses muscles soient développés à l'extrême ou que sa taille soit démesurée, mais il émane de lui une sorte d'instinct animal qui brille dans ses iris enflammés. Ce regard captivant est souligné par des sourcils fournis qu'il plisse légèrement en me détaillant de la tête aux pieds.

- Alors, c'est toi ma petite amie?

Je secoue mon visage de bas en haut, toujours muette comme une carpe. A première vue, je dirais que ce qu'il a sous les yeux ne lui convient pas et le pincement de lèvres qui s'accompagne de sa question ne fait que confirmer mes doutes. Le malaise est palpable entre nous et je le surprends à détourner le regard pour faire tomber la tension qui envahit la salle.

Prenant mon courage à deux mains, je m'avance dans sa direction. A mesure que l'espace se réduit, mes muscles se tendent et, quand je pose mon postérieur sur le drap blanc, juste à côté de sa jambe, je suis plus raide qu'un piquet.

- Tu vas bien? parviens-je enfin à articuler.

Le silence me répond.

Il fixe son regard sur un point invisible par-dessus mon épaule, cherchant visiblement à éviter le mien.

Au bout d'un moment, l'atmosphère silencieuse me pèse et je fini par lui demander:

- Pourquoi as-tu demandé à me voir si tu ne voulais pas me parler? Je peux partir si tu préfères.

- Pardon, je ...

Il reporte son attention sur ma personne et, finalement, je préférais quand il m'ignorait. Sous son regard, j'ai l'impression de prendre feu et mes joues s'empourprent. Pourquoi paraît-il si intense?

- ...c'est difficile pour moi! poursuit-il. Je sais que tu n'y es pour rien, mais je ne me souviens pas de toi. J'ai une sensation étrange quand je te regarde, c'est comme si tu étais une parfaite inconnue.

Le timbre de sa voix est tel que dans mes souvenirs, grave, légèrement cassé et mon esprit tend à en écouter les tonalités plutôt que les mots qui sortent de sa bouche. Pourtant quand il prononce " une parfaite inconnue", là je tique. Avant que je ne revienne le voir, l'infirmière m'a briefé. Elle m'a fait comprendre à quel point il était important qu'il puisse se raccrocher à des personnes, des lieux et des situations de son passé afin de recouvrer la mémoire au plus vite. Encore faudrait-il que cette personne fasse réellement partie de sa vie, or ce n'est pas mon cas! Comment pourrais-je l'aider alors que je ne connais rien de lui?

- Même mon prénom ne me paraît pas familier. C'est comme si je l'entendais pour la première fois. Quelque chose ne tourne pas rond là- dedans.

Il fait tourner ses doigts près de sa plaie et le remords m'assaille. Il croit qu'il devient fou parce que je lui raconte des inepties pour me couvrir. Quel genre de personne peut mener le vice aussi loin?

Sink with youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant