Tous nos souvenirs sont connectés à nos sens. Je suis persuadée que vous le savez pour en avoir fait l'expérience. Une odeur nous replonge dans un lieu, une image nous ramène un instant important de notre vie, un goût particulier nous fait replonger en enfance. Il y a ces moments qui sont gravés en nous de toutes les façons possibles, qui font partie de ce que nous sommes, presque inscrits dans nos ADN parce qu'ils nous ont poussés à grandir, à devenir la personne que nous sommes dans le présent. Il peut s'agir des meilleurs moments de notre vie ; un repas partagé avec des personnes qui nous sont chères, un anniversaire, des vacances au bord de la plage, l'odeur de la pluie en été quand les enfants jouent dans la pelouse encore humide, le goût de la barbe à papa à la fête foraine. Mais parfois, ils nous font sombrer directement dans nos pires tourments, nous laissant suffoquer encore et encore.
Pour ma part, je ne supporte plus l'odeur particulière qui s'attarde dans les couloirs des hôpitaux, ni le son rythmé des scops qui se répercutent dans les battements de mon propre cœur. Inlassablement, les souvenirs m'assaillent et me poursuivent, tels des spectres vengeurs venus chercher ce qu'il reste de mon âme. C'est difficile de franchir une fois de plus le seuil de ce bâtiment qui abrite à jamais le dernier souffle de vie de mon bébé. J'ai l'impression de ne jamais l'avoir quitté, la part vivante de mon être demeurant ici, pour toujours, avec elle.
Machinalement, je marche vers l'accueil des urgences accompagnée par une pompière très gentille qui ne veut pas lâcher mon bras malgré mes protestations. Je me sens bien, seule une douleur légère irradie dans ma tempe, me rappelant ma rencontre avec le poteau métallique.
- Où est-il ? m'inquiété-je auprès de la femme en uniforme qui parle avec la secrétaire.
Elle lève sa paume dans ma direction pour me demander de patienter, mais je ne supporte pas d'attendre. J'ai besoin de savoir s'il va bien, ou du moins s'il ne va pas trop mal compte tenue de la situation
- S'il vous plait, je dois savoir...
- Attendez deux minutes, je règle ça et je suis à vous !
Elle m'a répondu aimablement, mais sans m'accorder un regard. Suis-je si insignifiante ?
Nous avons été transportés dans des ambulances différentes et, depuis que j'ai dû lâcher son visage, je ne pense plus qu'à lui. Il a pris toute la place dans mon esprit, ne me laissant aucun répit. Je ressens un besoin viscéral de le voir, de savoir comment il va, je crois que mon cœur va exploser si je ne suis pas près de lui dans les minutes qui viennent. Je balaye la salle d'attente du regard, je ne sais même pas pourquoi, rien ici ne pourra me rassurer, je n'ai rien à quoi me raccrocher.
Une main qui enroule mon poignet me fait sursauter :
- Madame, vous allez bien ? Vous tremblez !
Un grand jeune homme, que j'identifie comme un interne grâce à sa blouse et son badge, me scrute de toute sa hauteur .
Je ne m'étais même pas rendu compte que mes muscles tressaillaient. Resserrant la couverture de survie autour de mes épaules, je lui assure que je vais bien. Enfin, physiquement c'est le cas, quand à ce qui se passe actuellement dans ma tête, c'est une toute autre histoire.
- Je veux juste le voir ! S'il vous plaît !
Ma voix n'est qu'une plainte pathétique .
- Qui donc ? cherche à savoir le médecin.
- L'homme qui a été renversé ! intervient la pompière. Elle l'a réclamé pendant tout le transport.
Elle énonce ce fait comme si cela l'agaçait au plus haut point. A ma décharge, personne n'a voulu me répondre, voilà pourquoi je pose des questions de manière obsessive.
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Sink with you
Roman d'amourMon cœur est broyé, mon âme est meurtrie. J'ai perdu la seule chose qui me donnait le goût de vivre. Continuer chaque jour à respirer est devenu une torture silencieuse. Mais une nuit, la vie décide de me rattraper. Une pluie battante, un dérapag...