o2. Les tourments des lendemains

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Dehors, le soleil brille avec indécence, répandant sur la capitale une douce et moite chaleur. Ses rayons ricochent sur les pavés, miroitent dans les fontaines, ruissellent sur les toits d'or aux extrémités incurvées. Partout le printemps fait éclore ses fleurs aux parfums suaves dont la brise disperse les pétales tels d'innombrables et doux flocons.

Mais elle n'y voit qu'une pluie de cendres.

Elle a fermé les stores et tiré les rideaux lorsque le palais a commencé à s'éveiller. Les éclats de voix qui retentissent dans les allées lui vrillent les tympans, se mêlent en un bourdonnement qui l'assourdit. Elle veut qu'on les fasse taire. Où est leur décence ?

Elle veut disparaître quelque part à l'abri de la foule. Elle veut qu'on la laisse.

Elle veut qu'il revienne.

Ce qui l'émerveillait avec lui n'a plus aujourd'hui ni sens ni saveur. Un vide béant déchire sa poitrine. L'absence la dévore. Un froid plus cruel que tous les blizzards des pôles la lacère de l'intérieur.

Elle pleure. Et il lui semble que ses larmes soient aussi intarissables que le mal qui la torture. Elle pleure ces années sacrifiées à la guerre. Et toutes celles qu'ils n'auront pas. Elle pleure l'injustice, l'amputation à laquelle on la condamne.

Prostrée entre les draps où le sommeil l'a fuie toute la nuit, elle sent les doigts de la mort enserrer sa gorge. L'air lui manque. Ses poumons la brûlent. La tête lui tourne d'avoir tant pleuré, d'avoir tant appelé.

Aang !

Il avait dit qu'il serait toujours là. Il avait promis.

Mille fois dans le noir, elle a cru sentir sa main dans la sienne, ses lèvres sur son front. Mais il n'est pas là. Il ne sera plus jamais là. On le lui a arraché et elle veut qu'il revienne. Qu'on le lui rende. Elle donnerait tout pour qu'on le lui rende.

Un hoquet l'étrangle. Une insurmontable léthargie s'est emparée d'elle. Elle n'existait que par lui. Que reste-t-il à présent ? Où ira-t-elle ? Qui sera-t-elle sans l'Avatar ? Quand au juste s'est-elle effacée pour n'exister que par lui ?

Elle ne veut pas connaître les réponses à ces questions qui font battre ses tempes. Elle ne veut pas vivre pour les connaître. Elle veut qu'il revienne. Elle donnerait sa vie aux esprits pour qu'il revienne. Pour voir ses grands yeux gris s'illuminer, entendre son rire ricocher à l'infini et tout renverser, son nom à elle sortir de sa bouche à lui.

Mais les esprits sont cruels. Ils ne veulent pas d'elle. Elle n'a rien à leur offrir, elle n'a aucune valeur.

Elle veut qu'il revienne.

Un gémissement d'impuissance lui échappe. La nausée qui ne la quitte plus lui fait perdre l'équilibre. Comme s'il était la source de toutes ses forces. De sa lumière. De sa volonté et de son futur. Elle ne peut pas continuer sans lui. Elle ne saura pas faire. De quel droit le pourrait-elle ?

Elle n'y arrivera pas. Elle sent les ténèbres l'avaler, les cendres qui pleuvent dehors l'ensevelir.

Sokka est auprès d'elle. Elle ignore depuis quand. Sans un mot, il lui offre l'appui de son bras lorsqu'elle se lève. Lui aussi est affaibli par une nuit de larmes. Toute la force de son frère ne pourrait pas l'empêcher de tomber de toute façon. Elle le voit à peine, l'entend à peine murmurer son nom comme on dit une prière.

— Il faut que je lui parle.

La voix éraillée et lointaine qui brise le silence assourdissant en sortant de sa bouche semble appartenir à une étrangère. Un instant, le poids de ses mots la terrifie. Sa vue se brouille à nouveau. Mais le choix ne lui appartient déjà plus. Il faut qu'elle lui parle. Il faut qu'elle sache. Au moins pour comprendre, puisqu'elle ne pourra jamais guérir. Faire taire les hurlements de ses cauchemars éveillés et chasser les images atroces que son esprit en ruines fait apparaître dès qu'elle ferme les paupières.

Ceux qui Restent [Katara & Zuko]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant