Chapitre 14

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Une énorme secousse réveilla tout l'équipage. Tout le monde sorti sur le pont pour voir ce qu'il se passait. Dans la cale, Gabrielle fut jetée au sol alors que Cornélia se précipitait vers le pont. C'est avec une gueule de bois, une bosse sur le crâne et un bleu sur le genou, que Gabrielle découvrit pour la première fois, Liomynsk.
Devant elle, la plus belle neige qu'elle n'avait jamais vu, recouvrait tout, les montagnes, les arbres, les toits des maisons. Tout était d'un blanc aveuglant, et l'air y était tellement froid qu'il rendait les nez rouges et les sourcils blancs. Gabrielle crut y reconnaître les paysages de l'Alaska, et eu l'espoir d'être retournée dans son monde, mais elle fut vite ramenée à elle quand le capitaine lui tapota l'épaule et lui dit : « Bienvenue à Liomynsk ! J'vous conseille de prendre un manteau, ça caille ici. ». Au même moment, Jane lui tendit un manteau de fourrure, à l'odeur forte de bouc. Elle s'en revêtit vite, elle savait que sinon elle mourrait en moins d'une heure tellement le froid lui brûlait la peau. À sa gauche, une vieille tour tombant en ruines abritait quelques enfants curieux, portant d'épais vêtements de fourrure beiges.
- Je m'attendais à un accueil plus hostile... dit Gabrielle en sondant le paysage à l'aide d'une longue-vue.
- Les liomynskiens sont, à contrario du climat dans lequel ils évoluent, très chaleureux, répondit Jane, qui derrière elle, relisait ce qu'elle savait déjà par cœur, le nez dans son bouquin.
- Ça suffit, dit Cyrius en prenant l'énorme livre des mains de Jane et en le fourrant dans un sac. Tu connais déjà toute cette île par cœur, maintenant, profite de la vue, regarde comme c'est magnifique.
Cornélia quant à elle, aidait déjà l'équipage à amarrer le bateau. Contrairement aux autres, elle connaissait déjà cette île, mais elle était pourtant beaucoup plus excitée qu'eux. Sautant partout comme une puce, elle courut vers la terre ferme sitôt toutes les cordes nouées. Ses jambes s'enfoncèrent jusqu'aux genoux dans une neige légère et poudreuse et elle tomba la tête la première. Après quelques instants, elle se redressa vivement, leva les bras et cria un grand : « WOOOOOOOOOOOOOOOHOUUUUUUUU », qui fit s'envoler les quelques oiseaux logés dans les arbres croulant sous la neige. Essoufflée et souriante, personne n'aurait mieux pu exprimer le sentiment de rentrer chez soi après tout ce temps. Sur le pont, les marins applaudissaient et riaient, content de voir leur petite Cornélia aussi heureuse. Gabrielle, accoudée à la rambarde, était fascinée par cette nouvelle version d'elle, légère, dans son élément naturel. Cornélia remonta sur le pont, lui agrippa le bras et celui de Cyrius, et les emmena dans la neige, où ils s'enfoncèrent tous les trois tels des idiots, riant à s'en déchirer les abdos. Les joues rouges et euphoriques, ils mirent du temps à remarquer que trois énormes lynx se tenaient désormais au-dessus d'eux, les fixant de leurs immenses yeux jaunes. Gabrielle n'en avait jamais vu en vrai, mais elle sut qu'ils faisaient au moins le double de la taille d'un lynx normal. Celui qui était aussi dessus d'elle pencha la tête et lui renifla le visage, avant d'avoir un mouvement de recul, ce qui lui permit d'apercevoir son cavalier. En effet, les trois félins étaient chevauchés par trois humains vêtus des mêmes vêtements que les enfants perchés dans les arbres. Une grosse capuche de fourrure vissée sur la tête, on ne pouvait pas déterminer si c'était des femmes ou des hommes.
- Relevez vous doucement et sans faire de mouvements brusques, leur ordonna en chuchotant Cornélia, ces lynx ne sont pas agressifs mais ils sont très méfiants, ne tentez rien qui pourrait vous mettre en danger.
Une fois debout, les lynx les reniflèrent de la tête au pied, puis poussèrent plusieurs petits cris aigus, semblables à des miaulements, avant de s'asseoir, pour laisser leurs cavaliers descendre de leurs montures.
- ᑐᙵᓱᒋᑦᑎ ᕿᑭᖅᑕᕐᔪᐊᒥ ᓕᒥᓐᔅᒃᒥ, ᓴᐃᒪᓇᖅᑰᔨᒐᕕᑦ, ᐊᓱᐃᓛᒃ ᐱᖃᑎᒋᓂᐊᖅᐸᑦᑎᒋᑦ ᓕᓐᒃᔅ−ᒥ ᐊᒻᒪ ᐊᒪᐅᑎᒥᒃ ᐅᑎᕐᓗᑎᑦ ᐊᖏᔪᒧᑦ ᐃᒡᓗᒧᑦ, dit un humain tout à droite, juste en face de Gabrielle.
Elle se tourna vers Cornélia, et lui demanda si elle savait ce qu'il venait de dire. Cornélia chercha dans sa mémoire ce qu'il restait de ses huit années de vie sur Liomynsk, et réussit à comprendre à peu près.
- Si j'ai bien compris, cette personne vient de nous souhaiter la bienvenue, d'après elle, nous sommes pacifistes, et ils vont nous escorter jusqu'à « la grande maison », c'est une sorte de palais royal pour le chef de la tribu.
- Et comment ils vont faire avec seulement trois lynx, même s'ils sont géants, je doute qu'ils puissent porter presque dix membres d'équipage, en nous comptant dans le lot.
- Les cris que tu as entendu, ce sont les lynx qui font appel aux autres lynx restés au village, ils vont aussi ramener des mammouths pour transporter les marchandises.
- Des quoi ? Des mammouths ?
- Je t'expliquerai ça plus tard, t'as pas mal de choses à apprendre sur ce monde.
Deux heures plus tard, trois autres lynx et deux mammouths arrivèrent, prêts à servir de navette. Une fois toutes les affaires chargées dans d'immenses luges en bois et les marins confortablement installés sur le dos des lynx, le cortège parti, laissant le bateau là, à la merci des petits curieux. Il fallait bien s'accrocher à leur épaisse touffe de poils pour ne pas tomber, car pour ne pas s'enfoncer profondément dans la neige à chaque pas, les lynx sautaient, des bons d'un mètre de haut et de presque trois mètres de longueur, qui ne laissaient aucun répit aux étrangers, épuisés par le voyage. Ils voyagèrent une petite heure à travers les arbres, jusqu'à Vigélio, seul village de l'île, composé d'une douzaine de grandes maisons en bois, avec le toit en forme de cornes de taureaux. Au centre, il y avait un lac gelé, où quelques villageois patinaient pour s'amuser. Deux des cavaliers se chargèrent de décharger les affaires et relâcher les lynx, pendant que le troisième dirigea l'équipage vers une maison plus grande que les autres, d'au moins deux étages, gardée par deux statues de lynx à l'entrée.
- Il va falloir que tu joues l'interprète ça va aller ? Demanda Gabrielle à Cornélia alors qu'ils franchissaient deux portes d'au moins trois mètres de haut.
- Avec un peu de chance, il parle la langue commune, soupira Cornélia, qui fixait le majestueux plafond de la maison, où y était accroché le squelette d'un serpent d'au moins vingt mètres de long, à la tête de crocodile, dirigée tout droit vers le trône, comme si elle voulait l'avaler.
La vision de sa petite sortie à la plage revint à Gabrielle, c'était exactement le même animal qu'elle avait vu, mais il n'en restait que des os. Elle n'en avait parlé à personne, croyant que c'était juste une hallucination ou un rêve suite au trop plein d'alcool, mais maintenant, elle n'en était plus si sûre.
- Qu'il y a-t-il de si fascinant, jeune fille aux cheveux de feu ?
Gabrielle fut ramenée à elle par un violent coup de coude adressé par Cornélia.
- Le chef t'as posé une question ! Lui dit-elle entre ses dents.
- Je... je crois que j'ai ... j'ai déjà vu cet animal auparavant, je crois, répondit-elle, se triturant les mains.
- ᑕᐃᓐᓇ ᐹᕐᖑᖅᑐᖅ, celui qui rampe, mais ce n'est pas très vrai, car il nage plus qu'il ne rampe. Il est très peu probable que vous en ayez vu à cette période de l'année, ils vivent dans les profondeurs, là où il fait toujours noir, toujours froid, et où presque aucun son ne passe.
- Alors comment se fait-il que vous ayez le cadavre de l'un d'entre eux ? Sans vouloir vous offenser.
Un homme au visage ridé et froid, assis sur un trône noir décoré de piques beaucoup trop grand pour lui, se redressa sur son siège, intrigué par la curiosité de cette jeune fille sortie de nulle part, habillée d'un simple manteau de peau bouc.
- Un jour, il y a plusieurs dizaines d'années, la tribu à trouver ce cadavre flottant près des ruines d'un ancien temple, ils l'ont ramené sur la terre, ont récupéré ses os, et l'ont accroché ici. C'est aussi simple que ça, ça ne s'est plus jamais reproduit. À moi de poser des questions maintenant, qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?
Gabrielle tourna la tête vers Jane, lui demandant du regard si elle pouvait dire la vérité, et elle acquiesça.
- Je m'appelle Gabrielle, je suis la réincarnation d'Estréide Dymaris, fille de Goltraigue Dymaris, roi de Turéis. Je viens ici pour avoir votre soutien, afin que je lui succède en tant qu'héritière légitime. Les personnes avec moi sont des amis et les membres d'équipage du bateau qui nous a conduit jusqu'ici. Nous ne demandons rien d'autre que l'asile et votre écoute attentive.
- C'est vrai que vous lui ressemblez beaucoup, en même temps, il n'y a pas beaucoup de gens aux cheveux de feu ici à part les Dymaris. Mais avez-vous d'autres preuves de ce que vous avancez ? Il paraît qu'Estréide avait un certain pouvoir de régénération.
- Tendez-moi votre main dans ce cas.
Il le fit, sans aucune hésitation. Elle s'avança vers, sous la vigilance des cavaliers, chargés de protéger leur chef. Elle sortit sa dague, et comme elle en avait l'habitude désormais, se trancha la paume de la main, et trancha également la main du chef, une main rugueuse, à la peau épaisse et dure. Les cavaliers firent un pas en avant, mais le chef les stoppa net d'un geste de son autre main. Gabrielle prit une profonde inspiration, colla sa main blessée à celle du chef, ferma les yeux et pensa à Cornélia. Et elle ressentit cette chaleur, bienveillante, encore, désormais familière. Quelques instants plus tard, elle rouvrit les yeux et enleva sa main. Le chef leva la sienne et l'inspecta, à la recherche de la blessure, mais rien, pas même une cicatrice.
- Vous pouvez passer autant de temps que vous le souhaitez ici, Mme Dymaris, se contenta-t-il de répondre, stupéfait.
- Merci infiniment, comme je peux vous appeler ?
- Haendal, chef de la tribu des terres gelées.
**

On conduisit l'équipage dans une maison qu'ils partageraient avec des villageois, pendant que Gabrielle, Cornélia, Jane et Cyrius était conduit dans des appartements en haut de la grande maison, où ils furent séparés en deux duos, l'un composé de Gabrielle et Cornélia, l'autre de Jane et Cyrius. Lorsque que les filles entrèrent dans leur chambre, elles découvrirent avec soulagement, une grande pièce, munie d'une cheminée, de meubles et au sol couvert de tapis. Grâce à une paire de fenêtres, on pouvait facilement contempler le soleil se coucher et laisser place à de splendides aurores boréales, illuminant un ciel bleu marine, comme des rubans arc-en-ciel. Sur un fauteuil, étaient posés des habits traditionnels, bien plus chauds que les manteaux que Jane avec acheté à Charnadieu.
- Je suis complètement épuisée, je vais juste manger un peu et aller me coucher, et toi ? Demanda Cornélia.
- Oui, moi aussi, répondit Gabrielle, pensive, prise d'une envie furieuse de sortir prendre l'air.
Elles partagèrent du fromage, un peu de pain et des biscuits secs au coin du feu, puis Cornélia retira ses bottes et alla se blottir dans les couvertures d'un des deux lits, disposés au fond de la pièce. Gabrielle attendit quelques minutes qu'elle plonge dans un profond sommeil, puis enfila les vêtements sur le fauteuil, avant de quitter la chambre. Le plus silencieusement possible, elle descendit les escaliers et se retrouva dehors. En quelques secondes, le froid commença déjà à lui mordre la peau, et elle remercia dans sa tête les villageois pour leur générosité. Après avoir fait quelques pas dans la neige, elle se dirigea vers une espèce de grange, où elle trouva quelques lynx, roupillant dans un océan de foin fraîchement coupé. Elle s'approcha du premier venu, et lui effleura la tête pour le réveiller. Il l'a senti de sa truffe rose et se leva. Sur ses quatre pattes, il faisait presque la taille d'un cheval. Alors comme pour un cheval, elle l'habilla d'une selle, qui était accrochée au mur près d'elle. Le lynx l'aida énormément en tendant les pattes par lesquelles elle devait faire passer les lanières de cuir. Il l'a conduit vers la forêt, puis grimpa quelques collines pour qu'elle puisse observer les aurores boréales, dans un silence total, sans aucune lumière artificielle.
- Ça doit être génial de vivre ici ... murmura-t-elle, prenant de grandes bouffées d'air frais.
Elle descendit de son lynx, et se retourna, intriguée par la lumière sortant d'une grotte dans la montagne. Elle rentra à l'intérieur et découvrit la plus belle chose qu'elle n'avait jamais vu. Tout autour d'elle, la roche était recouverte de cristaux éclatants, tous d'une nuance de bleue et d'une taille différente. Ils dégageaient une intense lumière qui illuminait toute la grotte. Et parfois, entre deux cristaux, émergeait une frêle fleur gelée, d'un bleu roi majestueux.
Gabrielle s'avança dans la cavité, hypnotisée par ce qu'elle venait de découvrir. Au bout de quelques minutes, elle retira son gant et posa délicatement ses doigts sur un petit amas de cristaux. Ils étaient chauds, enfin plutôt tiède, ce qui était étrange puisque la température dehors devait avoisiner les -20° Celsius. Quel était cet endroit ? Où cette grotte se terminait-elle ? Elle s'avança encore et encore à pas de loup, jusqu'à se heurter à un miroir qui épousait parfaitement les bords de la roche. Pour la première fois depuis plus d'un mois et demi, elle voyait son reflet grâce à autre chose que l'eau d'un étang. Ses yeux étaient plus clairs, ils n'étaient plus d'un marron foncé, mais maintenant presque ambrés. Et ses cheveux, étaient plus rouges. Avec tout son temps passé dehors, ses taches de rousseur s'étaient multipliées sur la totalité de son corps, y compris sur son visage. Elle ne se reconnaissait plus, qui était-elle devenue ? Elle voulait sortir, l'air devenait étouffant ici. Mais par tous les chemins qu'elle essayait de prendre, elle se heurtait encore à un miroir, où qu'elle aille.
- Merde merde merde merde merde, murmurait-elle alors qu'elle cédait peu à peu à la panique.
Et alors qu'elle poussait les miroirs de toutes ses forces, de l'eau, glacée, se mit à couler le long de ceux-ci et à atterrir à ses pieds, et à monter, inexorablement, rendant la situation de plus en plus problématique. En trente secondes, l'eau avait déjà atteint sa poitrine, plongeant la partie immergée de son corps dans une presque paralysie à cause de la température. Encore quelques secondes et Gabrielle serait complètement sous l'eau. Elle se força à prendre de grandes inspirations et compta jusqu'à trois, avant de plonger complètement dans une eau si froide qu'elle avait l'impression de se faire poignarder. Mais elle n'était pas un poisson, ni ce mystérieux serpent qu'elle avait rencontré, alors peu à peu, au fur et à mesure que l'oxygène était consommé par son cerveau, son sang et ses autres organes, sa vue noircissait et la panique disparaissait, laissant place à un assoupissement. Et elle perdit connaissance.


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⏰ Dernière mise à jour : Sep 10, 2023 ⏰

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