Prologue

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— Asmar, croasse-t-il péniblement.

Chaque son qui sort de sa gorge asséchée a l'air de lui demander un effort considérable.

Pauvre petit être de sang mêlé. Le liquide qui coule dans ses veines est tellement dilué que je peux à peine sentir celui de mon espèce. Qu'importe, il fera l'affaire. Car je dois absolument m'éloigner de Rajwa.

Cette vieille folle me garde avec jalousie et férocité depuis qu'elle m'a volé à sa sœur, il y a de cela des lustres.

« Avec moi à tes côtés, tu pourrais obtenir le pouvoir que tu as tant convoité chez autrui, plus que tu n'en as jamais rêvé, Asmar », glissé-je à l'inconnu.

La nostalgie d'une vie passée à flâner dans les plaines d'une contrée que je n'ai jamais vue, l'étreint.

— Jawhira..., marmonne-t-il, encore un brin délirant.

Rien à voir avec la chaleur accablante de cet endroit où tout le monde se méfie de lui, en somme. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire avec un individu pareil, moi ? 

Ma geôlière lui tend une tasse d'argile, ses doigts s'y accrochent avec fébrilité pour la porter à sa bouche.

Le liquide frais réanime les parois séchées de son organisme et éclaircit son esprit embrumé par le manque d'eau.

Un son de crécelle sort des lèvres fendues par la vieillesse de la soigneuse qui me garde sur cette étagère poussiéreuse depuis des décennies.

—  Des ignorants...

Ah, ça y est. C'est elle qui part s'enterrer dans un village de bigots de la Lumière venus se perdre en plein désert, et elle ose se plaindre de la façon dont ils la traitent ? Bien fait ! 

—  Tu n'as rien à faire ici, ronchonne-t-elle.

Oh non non non justement ! C'est exactement le genre de coup du destin dont j'avais besoin pour espérer sortir de cet endroit.

— Moi ? s'enquiert mon nouvel apprenti qui s'ignore.

Je vois... Je vois... un besoin de vengeance ? Ah, c'est parfait...puisque c'est aussi mon cas.

—  Personne, répond Rajwa d'un ton lugubre.

« Je pourrais t'obtenir la vengeance à laquelle tu aspires tant... »

— Qui es-tu ? Où es-tu ? s'affole-t-il.

Il recule et son dos bute contre un mur sur lequel il s'écrase, transpirant de peur. Le regard fou, il scrute la pièce tout en tâtonnant le sol de sa main pour trouver la tasse en terre cuite qu'il vient d'y déposer.

« Juste devant toi... Mais shhh elle va t'entendre, cette vieille démente perd vraiment la boule, je ne suis plus en sécurité avec elle. Débarrasse-t'en et emmène-moi ! », l'incité-je.

C'est le premier Porteur d'Ombres qui se présente devant moi en l'espace de deux siècles. Il me le faut ! 

Ses yeux se posent sur l'étagère poussiéreuse que mon réceptacle, plus brillant qu'une étoile dans la nuit, occupe. Son attention s'attarde enfin sur ma lampe, bien trop luxueuse pour se trouver là.

Il finit par secouer la tête et perd son regard dans le récipient qu'il tient :

—  Il y a quelqu'un ? Eh oh ? s'enquiert-il. 

Un idiot qui parle à une tasse vide, voilà mon espoir...

Il rejette l'arrière de son crâne contre le mur et ferme les yeux, puis les rouvre pour inspecter le sol. À côté de lui se trouve une cruche dont il se saisit pour remplir sa tasse.

Bringer Of Darkness [ Finaliste du concours Victoire sur Fyctia )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant