Le rivage de l'émirat d'Argent

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Altaïr

Nous fûmes parmi les premiers réfugiés à arriver de l'autre côté du détroit, et les seules à arriver depuis le palais, ce qui attira les regards de ceux déjà présents.

À ma surprise, il y avait déjà un barrage de gardes établi. En revanche, ce qu'il se trame sous mes yeux en ce moment même m'étonne beaucoup moins : des âmes en masse qui errent, l'air hagard sur la plage, et qui n'aspirent qu'à une seule chose : obtenir un laisser passer.

Planté sur le sable du rivage, j'ose observer Nouriya qui est occupée à enrouler son voile autour de son visage pour qu'on ne puisse pas la reconnaître. Je ne peux désormais plus apercevoir de sa beauté que ses deux grandes prunelles soulignées d'un trait noir profond.

J'effectue un rapide tour d'horizon et m'inquiète de l'afflux de personne qui fuient les combats. Plus nombreux nous serons, et plus le passage sera difficile. Je me demande ce que Soan a derrière la tête, nous aurions pu passer parmi les premiers moyennant de l'argent.

Même si j'ai la certitude que tout ceci est planifié, mon estomac est noué d'angoisse.

Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour faire à nouveau fonctionner mon cerveau correctement et lire à nouveau les intentions des gens, mais j'y parviendrai. Je le reconditionnerai à lui faire penser stratégie, et rien que stratégie, sans rien laisser interférer avec cet unique objectif que je lui avais alloué, tout comme il fut conditionné à penser comme une autruche le ferai durant ma captivité.

Je prends conscience que pendant un nombre incalculable de mois, je fus contraint mettre mon intelligence en berne, et écouter les malheurs, les bonheurs et les projets d'amusement d'un usurpateur sans plus aucune ambition depuis qu'il était au pouvoir.

Ou alors ce serait bien l'une des seules choses qu'il ne m'aurait pas confiée : ses desseins concernant son avenir en tant que sultan.

L'humiliation psychologique que j'ai subie fut complète, et pourrait recommencer, si le plan de mes sauveurs se révèle en fin de compte mal ficelé. Ou peut-être que, fou de rage, Asmar se contentera de simplement me tuer lorsqu'il mettra de nouveau la main sur moi.

Au loin, le voile de la nuit se dissipe peu à peu, pour que sa douce fraîcheur puisse faire place à l'implacable chaleur de la journée. Les flammes ont envahi la cité et mêmes certaines parties du palais. Du peu que j'en ai vu, c'est un très beau bâtiment, même à l'intérieur. Situé sur le haut de la falaise, il est réputé imprenable. Et pourtant, en l'espace de quelques années seulement, il a été pris deux fois.

Les deux fois par la ruse.

Je cherche et trouve Soan au milieu des autres réfugiés : les signes qui indiquent une certaine frustration ne trompent pas. Lèvres pincées, mâchoire contractée, regard furetant dans tous les sens : tout ne se déroule pas comme prévu.

Est-ce que ce gamin insolent au regard glaçant a vraiment orchestré tout ça, osant emporter avec lui la concubine favorite d'Asmar ?

Est-ce qu'il a vraiment fait ça sans être certain jusqu'au moindre détail de son coup ? Ou peut-être l'était-il, comme moi je le fus autrefois...

Un toussotement me tire de mes pensées.

— Dis, ça va là ? s'enquiert Nouriya.

Ses deux magnifiques amandes brillantes et pleines de vie me fixent.

Est-ce que Soan fait tout ça par amour ?

Je lui dirais bien que tomber amoureux peut se révéler dangereux, mais ce n'est absolument pas mon problème. Après tout, je ne suis plus en position de me mêler des affaires des autres.

Bringer Of Darkness [ Finaliste du concours Victoire sur Fyctia )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant