Le Prisonnier

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Le Prisonnier

Je suis depuis longtemps habitué à la lumière tamisée de la pièce dans laquelle je suis enfermé. Dès l'instant où ma sentence est tombée, je me suis vu condamné à vivre reclus entre ces quatre murs que je ne quitte jamais. Le tout entouré d'un mobilier raffiné et à la merci du sultan, Asmar.

Mon seul crime ? Lui avoir fait confiance.

Désormais, c'est dans mes yeux emplis de désespoir qu'il parvient à lire le reflet de sa propre victoire, là où moi j'ai jadis échoué.

Et pour lui, cela n'a visiblement pas de prix.

Je me borne à maintenir mon regard rivé sur la sculpture de lierre gris-bleu qui s'entortille autour des colonnes de mon lit à baldaquin. Probablement fait de zinc, son immuabilité le condamne à rester attaché pour l'éternité à ce bois de cèdre, tout comme moi je semble l'être à cette existence.

Mon index serpente sur les accoudoirs de l'unique chaise de ma prison d'étain et en dessine les lignes courbes des arabesques que mon esprit connait par cœur.

Mon trône, comme s'en amuse souvent le maître de ce palais qui m'est pourtant étranger puisque je n'en ai vu que la salle du trône, et cette pièce.

Un son familier vient perturber le rythme des percussions lointaines qui ont commencé à déranger ma solitude de bonne heure aujourd'hui. Avant même de tourner la tête en direction de la porte, je m'empresse d'attraper le bandeau posé sur mes cuisses pour le nouer à l'arrière de mon crâne.

C'est devenu un réflexe. Comme celui d'avoir les yeux baissés si je n'ai rien qui empêche ceux-ci de voir. Un raclement de gorge gras m'indique que l'eunuque qui garde l'entrée de mes appartements vient d'en franchir le pas.

Je reconnais d'emblée le rituel qui précède l'arrivée de mon seul visiteur.

Les bougies sont soufflées et une odeur de fumée se répand dans la pièce. J'espère qu'ils vont ouvrir la fenêtre, et laisser du vent s'immiscer à l'intérieur pour que je puisse respirer autre chose que de l'air vicié.

S'ils le font, ce ne sera pas pour mon confort, mais plutôt pour celui d'Asmar. Cependant, il n'y a pas de petit profit dans ma situation et ça me convient.

Je ferme les yeux malgré le tissu qui obstrue ma vision : quelle sera la nature du monologue d'Asmar cette fois ? Je soupire mentalement. De toute façon, je ne pourrai pas y réagir.

Les battants d'une fenêtre grincent, sans aucun doute ceux de celle qui est présente dans la deuxième moitié de la chambre. En effet, ceux de ma partie sont verrouillés et les persiennes extérieures sont opaques de façon à ce que je ne puisse pas voir ce qu'il se passe ailleurs qu'à l'intérieur de ma cage.

J'imagine que les rayons du soleil percent la pénombre et que la lumière s'abat sur le seul objet, outre les tapis, disposé de ce côté-là de la pièce : un énorme fauteuil, bien plus imposant que le mien.

Le lourd glissement sur le sol m'informe que ce sera l'un de ces après-midis où Asmar regardera au-dehors pendant qu'il s'étalera sur la chance qu'il a d'être Sultan et à quel point j'aurais apprécié moi aussi, si j'avais pu être à sa place. Enfin, il nuancera avec le fait que lui aurait très bien pu être à la mienne tout en prenant un air désolé.

Je connais dorénavant le contenu de ses monologues presque par cœur.

S'il m'autorise à retirer mon bandeau, je verrai ses yeux se plisser et sa bouche s'étirer de satisfaction si un chant s'élève depuis la cour. Mélodie qui sera entonnée à son attention, car une de ses concubines, chaque fois la même, aura décidé de lui plaire.

Bringer Of Darkness [ Finaliste du concours Victoire sur Fyctia )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant