La fuite

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Nouriya

Il ne nous fait pas confiance et je ne peux pas lui en vouloir, car Soan m'a dit qu'Asmar mettait un point d'honneur à le torturer psychologiquement. Il parait qu'une fois le sultan lui avait fait croire qu'il était libre, pour ensuite le contraindre à regagner sa cage de la plus cruelle manière qu'il soit.

Alors qui, dans une situation comme la sienne, accorderait du crédit à deux étrangers venus soi-disant le libérer ?

Un bruit inhabituel derrière moi me fait rompre le contact que j'ai tant bien que mal réussi à établir avec l'homme. Je me retourne pour voir que Soan est en train de dépouiller l'un des cadavres de son arme. Il la brandit avec arrogance et examine la lame avec attention. Même devant une si grande et inopportune concentration, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel.

Je sais qu'il adore ça, mais ce n'est vraiment pas le moment de jouer à sortir les cimeterres des eunuques pour juger de laquelle arbore la plus jolie ou la plus sophistiquée des gravures.

Soudain, avant que je ne décide d'intervenir, il me jette un coup d'œil en coin et ses lèvres s'amincissent. D'un coup de poignet, il fend ensuite l'air avec la lame tandis que je l'observe. Fier de la figure qu'il vient de réaliser, il s'avance vers moi avec un visage rayonnant. Sa bouche s'étire en un large sourire alors qu'il me présente la garde du sabre :

– Cadeau de moi à toi.

Je ris doucement et je reçois son présent en battant des cils avec exagération. Incroyable, une lame gravée, alors que je ne sais même pas comment la tenir sans me sentir ridicule. Pas question pour moi d'effectuer des danses de l'épée sans risquer de commettre une irrémédiable bourde.

Tout, absolument tout, dans le comportement de Soan a l'air d'indiquer qu'il n'a pas la moindre idée du danger qui se profile à l'horizon. Néanmoins, il est tout à fait conscient de l'ampleur de notre trahison.

Lors de la préparation de notre plan, ma beauté et ma valeur aux yeux de mon époux, le sultan, faisaient de moi un passe-partout dans le palais. Comme dans chaque recoin où je vais, le vide se fait autour de moi, j'ai pu amasser tout ce que je voulais : des affaires pour notre fuite jusqu'à l'argent dont avait besoin Soan. Qui aurait seulement osé m'accuser de vol ?

Personne.

Quant à lui, son charme exotique, ses manières candides, mais aussi le fait qu'il ait grandi à l'intérieur de ces murs, ont eu leur petit effet lorsqu'il quémandait quelque chose aux vieilles servantes qui l'avaient pratiquement élevé.

— Nous avions convenu que nous agirions avec discrétion...

Désinvolte, il me fait un clin d'œil :

— Les surprises arrivent, princesse.

Je lui offre une moue réprobatrice pour toute réponse.

Dans ce palais revêtant des allures de prison aux jolis barreaux faits d'étain et d'or, ce fut lui, ma surprise. Moi qui pensais être prisonnière de cette magnifique cage dorée, à tout jamais privée de liberté, me voilà en train de caresser l'espoir de prendre ma vie en main.

— Remets la dans son fourreau pour moi, s'il te plaît, minaudé-je alors que ce n'est ni le lieu, ni le moment.

À nous deux, nous avions les atouts les plus utiles qu'il soit pour manigancer ce plan en totale impunité. Dans un environnement où le goût pour la luxure et les apparences font loi, nous étions parfaitement assortis pour mener notre plan à bien.

Pendant qu'il s'exécute, son regard glisse sur le prisonnier : sa boussole. Il l'appelle de cette façon depuis le début et je n'ai jamais vraiment insisté pour savoir son prénom. Je pensais d'ailleurs que c'était une femme.

Asmar a interdit qu'il soit prononcé, m'avait une fois déclaré Soan, tu n'as donc pas besoin de le connaitre.

Alors je n'ai pas cherché et j'ai laissé cette personne devenir une boussole. Mais maintenant que je la vois, un sentiment de honte m'envahit, et je ne peux pas m'empêcher de considérer cet homme comme un être humain qui a le droit d'être traité comme tel. Ce sentiment d'empathie me pousse à découvrir son nom.

Tout à coup, je m'en veux d'avoir trop facilement oublié que derrière un prénom se cache une âme, un vécu, une potentielle postérité, une symbolique chérie par ceux qui l'octroient à un enfant. Si le mien m'était retiré, c'est une partie de moi qui me serait arrachée, puisque c'est ce qui contribue à déterminer celle que je suis aujourd'hui.

Il me fut donné par mon père, mais une voisine m'a expliqué que c'est ma mère qui l'a choisi avant de mourir en me donnant naissance. Parce qu'après deux fausses couches, j'étais censée être sa petite Lumière1, destinée à grandir et à m'épanouir, illuminer la vie des autres comme j'allais d'abord le faire pour la sienne.

Je me retourne vers l'homme qui a terminé de se changer et qui s'avance vers nous d'un pas mal assuré. Bien qu'ils soient d'une profonde noirceur, dans ses yeux s'expriment le doute et la peur qui se mélangent pour former un duo renvoyant l'image d'une âme torturée.

Bien vite, il se dérobe alors que je cherche à le sonder. Je mets en évidence le khanjar qui pend à ma ceinture, et que j'ai gardé caché jusque-là.

C'est une simple mesure de précaution, je pose ma main dessus et ses prunelles oscillent frénétiquement de mon poignard à mon regard. Mon cœur se soulève devant une telle réaction, car aucun être ne devrait avoir le sien rempli d'une frayeur pareille. Il est certain qu'il ne réalise pas que nous sommes là pour l'aider.

Enfin, d'une certaine manière.

Je tente de le rassurer un peu plus et décroche mon arme en la conservant dans son fourreau puis je prends sa main, légère comme une plume et docile, pour la déposer sur le plat de la lame. Malgré son appréhension, il ne recule pas et n'oppose aucune résistance à ma volonté. À aucun moment il ne resserre sa prise sur l'objet afin de s'en emparer. Je précise mon intention :

—  Seulement au cas où nous serions repérés. Mais le mot d'ordre, et je le répète, est le suivant : discrétion. Tiens, il pourrait t'être utile.

Il hoche la tête de haut en bas pour me montrer qu'il comprend, mais aucun son ne sort pour autant de sa bouche. Décontenancée, je poursuis :

— Tu te mettras entre nous deux. Soan ouvrira la marche.

Mon complice connait les couloirs du palais par cœur, les arpentant depuis sa plus tendre enfance. Quand j'y pense, lui aussi était en cage... tout comme moi et comme cet homme. La seule différence est que la nôtre, à Soan et moi, était plus spacieuse que celle-ci.

Le prisonnier acquiesce, toujours en silence. Son mutisme ne va pas tarder à me mettre mal à l'aise.

— Prends la, chuchoté-je.

Il déglutit et ses doigts se referment sur l'arme. Vu la façon dont il la manie, il a l'air aussi adroit que moi quand il s'agit d'avoir un objet tranchant entre les mains.

Mais ça ne m'inquiète pas. Soan est un très bon combattant ou, du moins, tout me porte à le croire au vu de ce dont j'ai été témoin lors de ses entraînements avec Asmar.

Et puis, je pensais vraiment avoir une compagne de voyage avec aucune compétence martiale, donc voilà au moins quelque chose qui ne me surprend pas dans ce début d'aventure. 

Bringer Of Darkness [ Finaliste du concours Victoire sur Fyctia )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant