Nouriya
Néanmoins, satisfaite qu'il finisse par céder à ma requête, j'entrelace nos doigts pour lui faire plaisir et je le tire jusque l'escalier de l'auberge où nous résidons depuis trop longtemps à mon goût. Il me suit sans faire de manières, chose étonnante, et une fois que nous arrivons au-dessus des marches, il lâche ma main, me passe devant et sort son poignard.
Évidemment, ça ne pouvait pas durer.
— Qu'est-ce que tu fais ? m'étonné-je.
Il m'offre un sourire en coin et se retourne, prêt à emprunter le couloir :
— Il sait ce qui l'attend, non ?
— Tu es un rustre, Soan.
— Tu n'es pas en reste, princesse.
Je déteste quand il m'appelle comme ça.
Exaspérée, je roule des yeux et pousse Soan dans le dos pour qu'il continue d'avancer. Nous croisons un individu qui s'inquiète de nous voir arpenter le couloir avec une arme dégainée.
— Y a un problème gamin, vous voulez de l'aide ? demande l'homme, beaucoup plus âgé que nous, une fois arrivé à notre hauteur.
Des relents de sueur me submergent.
— Non l'ami, ça ira, répond joyeusement Soan, il faut savoir se battre seul pour gagner le cœur de la femme de ses rêves !
Ciel, Soan... ferme-là, si ça se trouve le type devant s'est retrouvé cocu plus d'une fois !
Les épais sourcils broussailleux de l'homme se lèvent d'incompréhension. Il fuit des combats et il trouve un imbécile en train de se balader avec un couteau dans le couloir d'une auberge avec pour seule raison valable un soi-disant amour.
Je ferme les yeux et retiens ma respiration.
— Comme tu voudras, gamin.
L'odeur rance s'éloigne et j'inspire un bon coup après avoir expiré.
— Je déteste quand on m'appelle comme ça, maugrée Soan.
Dommage, parce que ça te qualifie à merveille.
— Tu devrais ranger ça tant qu'on n'est pas dans la chambre, je propose, pointant du doigt le poignard.
Il le tient comme s'il se tenait prêt à bondir sur quelqu'un.
— Mais non, on y est presque.
Une fois arrivés devant la porte de la chambre d'Altaïr, je le retiens par le bras avant qu'il n'ait le temps de toucher la poignée de porte.
— La Dame, tu l'as revue ? chuchoté-je.
Le moment est très mal venu, mais je dois continuer de m'assurer que Soan sait ce qu'il fait. Si ce n'est pas, comme je le crois, le nom qu'il donne à ses visions et que c'est une personne faite de chair et d'os, elle doit être restée dans la Cité d'Airain, au milieu des combats. Soan fait claquer sa langue et se dégage de mon étreinte :
— En rêve seulement, marmonne-t-il, agacé par ma question, donne-moi la clé.
Des visions, donc.
Je devrais être mécontente de sa réaction, car il ne m'a pas ménagée. Mais à la place, je suis plutôt rassurée. Je fouille dans mon sarouel et en ressort la clé qu'il m'arrache des mains d'un geste brusque.
Un cliquetis résonne faiblement et brise le silence pesant du couloir. Soan pousse la porte et nous pénétrons à l'intérieur de la chambre. Ce n'est pas étonnant pour moi de trouver Altaïr assis, sage et patient sur son lit. Mais je note chez Soan un moment d'égarement.
— Ne me dis pas que tu restes toute la journée ton postérieur collé sur le bord de ce grabat, l'ami ? demande Soan, penaud.
Altaïr le détaille en silence, puis il baisse le regard et ses deux prunelles sombres se rivent sur le khanjar qu'il tient.
Malgré les paroles blessantes qu'il m'a proférées plus tôt dans la journée, je prends sur moi et tente de le rassurer :
— Juste une goutte, Altaïr.
— Shhh..., chuinte Soan.
Vient-il de m'ordonner de me taire ?
Je regarde Soan à mon tour, ses beaux yeux bleus n'ont d'attention que pour Altaïr dont il vient de capter le regard noir.
J'essaye d'imaginer Altaïr arborer la prestance d'un vizir, mais je n'y parviens pas. Certes, la tentative est plus fructueuse depuis qu'il a ouvert la bouche, mais ce n'est pas vraiment ce à quoi je m'attendais. Asmar n'a pas de vizir, il ne se repose que sur lui-même, son goût pour la fête et sa lubricité. Donc je n'ai aucun point de comparaison.
Soan s'avance avec calme et détermination vers Altaïr, puis s'accroupit devant lui. C'est maintenant Altaïr qui le jauge, toujours assis sur le bord du lit.
Pourquoi inverse-t-il les rôles comme ça ?
— Tu sais comment j'ai su que tu étais ma boussole ?
La voix de Soan est modulée sur le ton de la confidence, elle ondule douce comme de la soie.
L'intéressé ne répond rien et se contente de fixer Soan, en attente de la réponse :
— Je l'ai su dès le premier jour de ton arrivée, mon ami.
Cette fois le front d'Altaïr se plisse, marquant son incompréhension.
— Lorsque notre bien aimé Émir t'a collé la droite de ta vie.
Soan est parcouru d'un doux rire nostalgique tandis qu'Altaïr inspire et ferme les yeux.
Le même souvenir résonne clairement de deux façons distinctes dans leurs têtes respectives.
Moi je n'ai rien vu, mais j'imagine sans peine le malaise d'Altaïr.
— Ce jour-là, ton sang a coulé. Et il s'est passé quelque chose...
Altaïr me jette un bref regard rempli d'interrogations, mais je n'en sais pas plus que lui. Je demeure, moi aussi, suspendue aux lèvres de Soan.
— Bon, un dessin vaut mieux que mille mots ! Mets-toi à genoux et donne-moi ton index.
Perplexe, Altaïr cligne des yeux.
— Asmar doit être fou de rage de savoir que son animal de compagnie s'est barré avec son épouse favorite et le plus exotique des spécimens de sa Cour.
Dans un geste théâtral, Soan se désigne et lance un clin d'œil à Altaïr qui tressaille. J'espère pour ce dernier qu'il a compris qu'il n'a que deux options, retourner ramper devant Asmar, ou nous suivre. Réalisant qu'il est dans le même bateau que nous, il se laisse glisser du bord de son lit et atterrit à genoux devant Soan, résigné.
Altaïr me questionne du regard, mais je secoue la tête.
Je reste en retrait et debout. Je ne m'agenouillerai pas à leurs côtés et observerai toute la scène en hauteur, appuyée contre la table.
Soan profite de la distraction d'Altaïr pour prendre sa main et lui tendre l'index d'un geste vif. Le mouvement de poitrine d'Altaïr se bloque.
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Bringer Of Darkness [ Finaliste du concours Victoire sur Fyctia )
FantasyCondamné à vivre dans un mutisme et une indifférence totale, Altaïr n'aspire qu'à une chose, en finir. Nouriya, l'épouse préférée d'Asmar, envisage de prendre de droit une liberté qui ne lui a jamais été offerte. Quand le palais est pris d'assaut, N...