Anastasie

6 - Séminaire d'entreprise

Cette nuit-là, mon esprit n'a cessé de bouillonner à la recherche d'une explication rationnelle. Cet homme est dans mes rêves, dans ces songes qui semblent refléter une vie antérieure très lointaine. D'après ce que j'ai pu comprendre, mes songes dateraient d'au moins six cents ans, date du règne du prince de Sinestra. Donc si cet homme est celui de mes rêves il devrait avoir cet âge, ce qui est physiquement impossible.

Mais si je suis capable de me souvenir de cette vie, pourquoi lui-même ne le pourrait pas ? Se pourrait-il qu'il vive la même chose que moi, qu'il ait des visions d'une vie lointaine ? Peut-être les aurait-il depuis plus longtemps que moi et s'est-il décidé à pousser les choses en m'envoyant directement sur les lieux de notre idylle passée ? Comment pourrais-je en être sûre ? Il est si flou, si distant et si proche en même temps.

La seule façon de confirmer mes conclusions serait de le revoir, mais c'est un fantôme. J'ai déjà fait des recherches approfondies sur lui sur le net, sans aucun résultat. Malgré son statut de chef d'entreprise il n'apparait nulle part, c'est presque impossible de nos jours de ne laisser aucune trace sur internet, et pourtant lui a réussi. Il ne vient jamais au bureau et je ne connais rien de lui. J'ose espérer qu'il se manifestera de lui-même.

Les jours et les semaines suivantes passent avec un gout amer, je n'ai aucune nouvelle. Mes songes s'amplifient et me font perdre mes repères entre la vie réelle et passée. Je vois constamment des images d'une vie remplie d'amour mais aussi d'une époque très compliquée et sauvage. Malgré une relation passionnelle avec cet homme que je ne vois que très rarement de façon nette, il n'est pas beaucoup présent, il semble partir durant de longues périodes et revenir des semaines après, recouvert de sang. Témoignage d'une vie de combat. Le plus perturbant reste le fait que je ne peux voir que son regard. Dans ces rêves il est comme brouillé... Comme si quelque chose m'empêchait à chaque fois de voir son visage. Soit je me réveille en sursaut, soit il est flou.

Les sentiments que déclenche sa seule présence sont violents, percutants. Je ne pourrais pas poser de mots sur ces émotions tellement elles sont intenses. Je n'ai jamais ressenti ce genre d'amour, de passion. Je l'aimais cet homme, aussi fort que l'amour le permet. J'aurais pu mourir pour lui, j'en suis sûre, et je ressens que cela était partagé.

J'ai tellement besoin de savoir, de le revoir, c'est devenu une obsession presque malsaine. Mais je ne trouve aucune solution qui me permettrait de le recroiser sans que cela relève de la filature d'une tierce personne.

En réfléchissant, je me souviens que cette année le journal fête ses quarante ans et que pour cette occasion l'entreprise a prévu un weekend de séminaire et de jeu. Cela doit se dérouler ce weekend justement, et avec un peu de chance il sera présent. C'est quand même le patron, alors en général ils se déplacent pour des occasions comme celle-ci.

C'est avec une certaine appréhension mélangée à de l'excitation que nous arrivons au samedi du séminaire. Je prépare mes affaires accompagnée comme toujours de Sarah qui est presque aussi excitée que moi à l'idée d'y aller. La seule consigne que nous avons eue est de prévoir des chaussures confortables ainsi qu'une tenue décontractée. Cela laisse entendre que nous allons faire une activité en extérieur.

Une fois nos bagages prêtes, nous devons nous rendre au bureau où un bus nous attend pour emmener toute l'équipe dans le lieu réservé pour notre weekend. Nous nous installons à l'intérieur, c'est tellement drôle de voir ses collègues différemment que dans une ambiance de travail classique. Tout le monde est décontracté, même M. Felton arbore un large sourire.

Il se tient à l'avant du bus et agite une sorte de petit micro. Cela m'amuse et me fait penser aux animateurs de club de vacances quand j'étais petite.