𝘈𝘨𝘪𝘵𝘢𝘵𝘪𝘰𝘯 - 01

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Petit à petit, l'eau recule. Elle ne délivre pas son corps. Elle le rejette, non sans douleur, sur une terre où il doit se tenir debout de lui-même, ou rien ne l'accompagne, ni le supporte. L'air glacé fouette et rougis son torse. Le jeune homme mord ses joues et sent ses lèvres bleuir. Puis ses muscles bandés le tirent hors de la mélasse grise de sable secoué et d'algues vertes. Ses pieds ne sont pas encore totalement hors de l'eau que Taehyung dépose une serviette sur ses épaules. Il a retroussé son pantalon pour le rejoindre et frotte ses épaules pour le réchauffer.

« Le repas va être servi. »


Il secoue la tête et ses cheveux, lourds et sombres, masquent ses yeux. Taehyung le plaque contre son torse, ses mèches gouttent sur son t-shirt blanc en lin, son torse se colle au sien, son jean frotte ses cuisses gelées. Jungkook aimerait se dégager. Taehyung ne s'était jamais montré démonstratif et l'incongruité de cette étreinte le gène. Et puis il le sent pleurer contre son épaule, pas beaucoup, juste une ou deux perles chaudes et rondes qui s'amenuisent sur son visage fin et se noient dans les centaines de sa peau brune. Ses larmes lui brûlent les joues, elles ne lavent rien, ne réduisent rien. Elles ne font que relater une souffrance déjà trop bien connue. Taehyung n'était pas connu pour ses effusions de sentiments. Même petit, Jungkook garde le souvenir d'un garçon aux humeurs égales, quelles que soient les circonstances. Et s'ils ne s'échangeaient que des banalités depuis l'adolescence, Jungkook doutait que sa nature ait radicalement changée. Ce fragment de douleur, cet aveu de sentiment, le pétrifie.


Il ne dit rien. Il reste là, cette serviette rêche sur ses épaules, ses pieds caressés par l'eau et la peau brûlante et fatiguée de Taehyung sur la sienne. Quand bien même il ne pleure plus, ce n'est pas pour autant qu'il se dégage de son étreinte. Il sait que le raz de marée dans son corps n'est pas encore passé, que l'eau boue, qu'elle grignote avec sa patience infinie le peu de maitrise qu'il lui reste.


Jungkook ne veut pas voir son teint livide, ses yeux rouges. Sa peau de cristal déchirée par des larmes. Taehyung est une de ses beautés qui supporte mal la douleur. Le chagrin le flétrit, et Jungkook comprend sa pudeur face à ses sentiments – bien qu'il n'en fasse pas usage pour lui-même. Jungkook est bien plus brute, traversé par ses émotions comme un flot dru qui déchire son visage et sa bouche. Mais là, après six heures à nager, à ne plus avoir de souffle, les émotions sont tenues loin de son corps.


Taehyung s'éloigne et frictionne ses épaules avec la serviette, Jungkook ne dit toujours rien, Taehyung n'a jamais eu beaucoup de contacts physiques avec les autres. Ils sont tous complètement déréglés ; ils ont tous perdu leur équilibre, ils tanguent étrangement dans ce monde qui n'a pas le temps de s'arrêter pour toutes leurs souffrances.


« Ne nous faisons pas attendre ».

Ses pieds remontent sur le sable, la mer chante inlassablement derrière eux.


Jungkook reste encore une minute à frictionner son corps dans le drap de bain humide, il observe son vis-à-vis, son nez droit et ses pommettes hautes. La façon dont il mord ses lèvres charnues d'anxiété sans quitter l'océan des yeux ; ses cheveux bruns et fins glissent sur sa peau opaline, caresse le haut de ses oreilles vierges de tout piercing. Taehyung a toujours été joli garçon, adulé des adultes, des filles et parfois des photographes. Cette attention permanente sur sa beauté éthérée n'avait jamais eu de prise sur son caractère. Rares étaient les moments où Jungkook l'avait aperçu ailleurs que dans sa chambre ou sur la terrasse à l'ombre du soleil, un livre à la main. Taehyung était secret, renfermé et n'avait pas de réels contacts avec autrui, si ce n'était son frère cadet. Le frère cadet qu'il cherchait des yeux en fixant la mer. Le frère cadet qui n'existait plus.

𝖲𝗒𝗓𝗒𝗀𝗂𝖾 |TaeKook|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant