𝘈𝘱𝘯𝘦́𝘦 - 09

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Taehyung l'a abandonné au coin de la rue. On ne se mélange pas pendant les disputes, sauf quand on considère faire partie de la famille. Taehyung a fait son choix. Il a bifurqué à droite. La distance s'est creusée d'un coup par ce simple détour. Taehyung a repris la direction des pins et Jungkook s'est retrouvé seul, face à la rangée de maisons aux volets colorés. On n'en distingue pas grand-chose, la lune paresseuse paraît bien loin de la terre et n'offre qu'une lueur diffuse. À une heure du matin, plus aucun éclairage public ne dérange le monde endormi. Jungkook aurait pu faire demi-tour, se cacher quelque part sous un pin, dormir dans le creux d'une dune, jusqu'à quand ? Le temps refuse encore de s'arrêter, malgré l'église et la chape de béton. La vie s'efforce de se frayer un chemin et de l'y replacer. Il n'arrive pas à s'échapper.

La fatigue a beau lui scier les jambes, il ne parvient pas à l'ignorer. Son corps continue de lui envoyer des signaux de cette réalité qu'il fuit de toutes ses forces. Il faut que sa chair cesse de demander de l'attention, des soins, du repos. Jungkook veut marcher, marcher jusqu'au bout du monde, jusqu'à un endroit où Jin l'attend, dos à la mer.


Sa mère et son père sont assis dans le jardin. Chacun sur sa chaise, les corps recroquevillés. Ils ont allumé le préau pour discerner sa silhouette dans la nuit. Jungkook en est ébloui. Il jette un œil à la petite table en bois et constate l'accumulation de tasses vides et de papiers. Ils sont là depuis longtemps. Leurs visages graves le fixent, avec leurs yeux cernés de fatigue. Ils ne lui ont jamais paru si vieux.

« Jungkook. »


Ça ne ressemble jamais à grand-chose un sermon quand on a dix-sept ans. Surtout quand on sait qu'on est en tort, mais que pour rien au monde, on ne veut le reconnaître. Jungkook connaît bien cette pièce, les acteurs, les répliques... Il a beau la trouver surjouée, mal découpée, il y revient : oublie de prévenir quand il ne rentre pas, oublie de rentrer tout court, oublie d'être agréable, de considérer ses parents. Jungkook les aime bien, même beaucoup, c'est juste qu'il n'a pas toujours l'impression qu'ils vivent ensemble. Sous le même toit, pas de doute, mais la famille se transforme souvent en colocation. Une vie commune où il est adulte et responsable et n'a donc aucun compte à rendre sur ses allées venues, ses activités. Un monde où qu'il soit là ou pas, on s'en accommode.


Il sait que ce n'est pas la réalité. Ses deux parents sont assis, les yeux cernés, les teints gris, emmitouflés dans des cardigans hors saison pour supporter la fraîcheur de la nuit d'été. Jungkook n'est pas indépendant, il ne vit pas seul. Jin est mort, tiré hors du monde et de ses petites sociétés, pas lui.


L'acteur principal se lève, c'est lui qui débute le bal. Jungkook ne répliquera pas, il ne parle pas dans les premières scènes, parce qu'il a tort. Il n'en est jamais autrement, la pièce est bien écrite. Pas de protagoniste extravagant qui profite de l'obscurité de la nuit pour décharger une colère entretenue depuis des années. Les reproches sont toujours justes et la colère inexistante. Sa mère se lève à son tour pour appuyer la première tirade. Elle vient le prendre dans ses bras. Le jeu devient physique. C'est un câlin-prison, les bras si fermes qu'ils lui font mal aux côtes.

« Tu es privé de sortie pour la semaine.

- De ! »

Pas de réplique, à moins que l'injustice soit trop grande.


« Ton père et moi avons décidé que tu n'aurais pas le droit de sortir seul cette semaine. »

𝖲𝗒𝗓𝗒𝗀𝗂𝖾 |TaeKook|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant