Chapitre 10

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- Un café ? Proposa Derek.

Jackson secoua la tête, pas certain qu'avaler quelque chose lui rende service. Pas sûr non plus qu'il y arrive, de toute façon. La gorge nouée, il était là, à attendre que Derek se serve sa propre tasse. Bien que la caféine ne fasse pas grand effet sur l'organisme des loups-garous, l'ancien alpha, dos à lui, en prenait régulièrement. Le goût était agréable, disait-il et la texture, satisfaisante. Jackson l'avait un jour entendu expliquer à Peter qu'il appréciait ce côté très légèrement mousseux et doux et que pour rien au monde il n'arrêterait d'en boire. C'était son petit plaisir à lui, ce quelque chose de presque secret. Disons que Derek n'était pas homme à aimer parler de lui, de ses goûts, de ses envies. Il axait son temps libre et plus largement, sa vie, sur la protection de cette meute, dont il faisait partie. C'était un loup étrange, à la fois ouvert aux autres et hermétique concernant sa propre personne. Gardait-il le silence sur ses idées et envies uniquement parce qu'il ne voyait pas l'intérêt de faire le contraire ou simplement parce qu'il se sentait bien ainsi ? Ce n'était certainement pas Jackson qui irait le lui demander, d'autant plus qu'il comprenait parfaitement le besoin que pouvait avoir Derek de vouloir garder un semblant de jardin secret – un concept fort abstrait entre loups-garous.

Une fois qu'il eut terminé sa manipulation, Derek prit sa tasse – plus de l'ordre du mug qu'autre chose – et fit signe à Jackson de le suivre. L'instant d'après, chacun était installé sur un fauteuil. D'un regard, Derek enjoignit à son cadet de se lancer. Très sincèrement, Jackson crut que la chose serait facile, qu'il n'aurait qu'à ouvrir la bouche, que les mots sortiraient tous seuls. Mais ce fut seulement là, au loft, qu'il se rendit définitivement compte que rien dans cette situation n'était aisé. Que tout était à faire, à dire et que sitôt l'horreur prononcée, plus rien ne serait jamais comme avant. Le poison de la vérité avait déjà atteint Jackson et Isaac... Dans un sens, il les avait mis à terre. Par chance, Derek était quelqu'un d'aussi solide que pragmatique. Peut-être tankerait-il mieux la chose... C'était en tout cas ce que le kanima espérait. De son côté, il ne faisait pas le fier – il faudrait être malade pour préférer sauver les apparences alors qu'il avait quelque chose de très grave à annoncer. De toute manière, Jackson n'était, à cet instant, capable de porter aucun masque, sans doute... Parce que tout était encore trop frais, et qu'il ne savait pas vraiment quoi faire. Dès lors que Derek saurait, que se passerait-il ?

- Tu sais, Stiles...

Jackson s'arrêta brusquement. Il allait le dire. Il le devait. Sans même notifier qu'il avait appelé l'hyperactif par son prénom et non par son nom de famille comme il le faisait d'ordinaire, le kanima soupira. Comment trouver les mots ? Jackson se trouva soudainement idiot. Réfléchir ne servirait à rien et chercher à avoir du tact... Ne ferait pas avancer la situation d'autant plus que Derek... Serait sans doute capable de tout entendre. Il tiendrait le choc – pas comme lui, qui avait senti plusieurs petites choses s'effondrer en lui. Jackson, le fier et arrogant Jackson Whittemore, se savait complètement démuni face à une situation dont l'horreur l'écrasait.

- McCall, articula-t-il.

Légère pause.

- C'est McCall qui l'a drogué.

Ça, c'était la partie la plus facile, celle qu'il pouvait cracher sans peur, parce qu'il savait que Derek le croirait. Si l'ancien alpha appréciait beaucoup l'actuel, il savait faire la part des choses lorsque celui-ci faisait une bêtise – celle-ci n'en était même pas une. Il s'agissait, seul, d'un acte de barbarie sans nom. Dans ce cas, que dire du reste ? Il n'y avait pas suffisamment de mots dans la langue de Shakespeare pour décrire avec justesse la teneur de l'atrocité que Scott avait commise.

Jackson vit Derek hausser un sourcil, et baissa les yeux. S'il disait la vérité et si l'ancien alpha ne pouvait que le constater grâce à ses sens lupins, le kanima n'en restait pas moins intimidé par l'aura qu'il dégageait. Cette aura qui, même provenant de l'oméga, forçait le respect. Encore qu'elle n'était pas grand-chose face à la lourdeur du poids du secret qui écrasait ses épaules. Un secret qui le tuait déjà à petits feux.

- Qu'est-ce qui te permet de l'affirmer ?

Le ton de Derek n'était pas accusateur, mais pas non plus très ouvert. L'ancien alpha avait toujours eu cette manière de parler un peu étrange. Impossible de deviner ce qu'il pensait réellement tant tout chez lui était muselé. Derek, en roi du contrôle, parvenait à rendre son odeur fade et faible, sa voix monotone, son visage indéchiffrable. Jackson savait toutefois que, par la question qu'il posait, le loup de naissance l'invitait à continuer, à dire ce qu'il avait sur le cœur. Si tel n'était pas le cas, Jackson serait déjà à l'extérieur du loft, les yeux rivés sur la porte métallique. Derek n'était pas du genre à laisser les gens parler lorsqu'il pressentait que c'était inutile, que la discussion représentait une perte de temps en elle-même, ou que ceux-ci cherchaient à l'embobiner.

Jackson considéra ainsi qu'il avait passé le test de la méfiance – en tout cas, se dire ça le rassurait. Derek savait qu'il disait la vérité, mais désirait qu'il lui explique la façon dont il en était arrivé à cette conclusion. Une accusation, c'était toujours quelque chose de délicat et de risqué : c'était d'autant plus vrai si l'accusation en question concernait l'alpha de leur étrange meute.

Mais au lieu de répondre directement à sa question, Jackson choisit d'être direct, de tout dire. Les mots, il les sentait finalement venir et il savait que s'il ne les prononçait pas maintenant, il n'en serait plus capable avant un moment. Or, il ne devait pas attendre plus longtemps. Stiles ne le pouvait pas.

- Il n'a pas fait que ça, ajouta Jackson dans un souffle, en relevant les yeux vers le Hale.

C'était peut-être, mais il avait besoin que Derek voie la vérité dans ses yeux, qu'il sache... Qu'il ne plaisantait pas, qu'il n'incriminait pas Scott à la légère.

- Je sais que ça paraît insensé, je sais que McCall... C'est son meilleur ami. Je sais qu'il... N'est pas censé avoir fait ça, que c'est pas censé être un malade...

Et Jackson, lancé, enchaîna malgré lui avec ce qui l'avait marqué et qui lui avait fait mettre le pied dans cette histoire sordide. Il relata sa découverte de l'odeur de Scott allant des draps de Stiles à son corps... De cette tâche révélatrice, de la constatation égale qu'Isaac – il l'évoqua sans prévenir – avait faite à son tour. Jackson n'était pas le genre de personnes à s'emballer, à user de la parole à outrance comme avait l'habitude de le faire Stiles. Mais là, c'était comme s'il vomissait cette histoire : il avait besoin que ça sorte. Besoin de s'exprimer. Besoin de laisser sortir ce que certains auraient passé sous silence. Jackson savait qu'il retrouverait son état normal – aussi normal que possible, en tout cas – une fois qu'il aurait terminé, que quelqu'un d'autre prendrait cette affaire en charge, que Scott... Serait arrêté. Nullement naïf, Jackson savait que cela n'arriverait pas tout de suite. Peut-être même que Derek... A défaut de se mettre de son côté, prendrait son temps pour réfléchir et éventuellement le mettre face à ses actes.

En fait, Jackson cessa tout bonnement de parler... A cause du doute qui naissait en lui. Un doute aussi fort que déroutant.

Et si Derek ne le prenait pas au sérieux ? En temps normal, le sportif l'aurait compris tant leurs premières interactions avaient été catastrophiques. Mais maintenant qu'ils faisaient partie de la même meute, maintenant qu'ils avaient tous deux mûri – Jackson dans un sens, Derek dans un autre –, les choses étaient différentes, non ? Oui, en soi. Simplement, Jackson était bien trop fébrile pour penser de manière complètement rationnelle. C'était la première fois de sa vie qu'il se retrouvait face à une telle horreur qui, en plus, touchait quelqu'un qu'il connaissait... Qu'il voyait tous les jours. Alors forcément, il était maladroit, racontait les choses de manière décousue, presque enfantine.

Perdu dans son propre récit et complètement déboussolé par tout ça, Jackson ne fit pas attention à la manière dont Derek s'était mis à le regarder, ni à la façon dont son regard avait perdu sa froideur apparente.

The Saving SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant