Chapitre 12

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Noah n'arrivait pas à dormir. Il avait cette petite voix qui lui soufflait de rester éveillé et ce, même si c'était ce qu'Isaac faisait, au chevet de son fils. De son côté, le shérif n'osait pas monter. Pour l'instant, il ressentait le besoin de rester en bas, de s'isoler un peu. S'il n'avait pas bu une goutte de whisky depuis deux bonnes heures, il gardait la bouteille près de lui. Elle trônait sur la table basse du salon, à un tiers vidée, prête à lui servir s'il en avait à nouveau besoin – et c'était malheureusement possible.

Parce que Noah n'arrivait pas à accepter l'idée que l'on ait pu abuser de son fils – au sens propre comme au sens figuré. Car le shérif, s'il appréciait le confort que pouvait lui apporter le déni, avait délibérément choisi de ne pas le laisser l'aveugler. Parce que sa force, c'était Stiles et Noah ne pouvait pas se résoudre à minimiser son importance en envoyant balader l'évidence.

Alors oui, il avait compris ce que l'on n'avait fait que sous-entendre, comme il avait compris les regards ombragés, pleins d'un choc qui dépassait l'entendement. Noah connaissait bien Whittemore et Lahey : il en fallait beaucoup pour les déstabiliser car les deux jeunes hommes, de par leur caractère et leur vécu, savaient faire preuve de sang-froid.

Mais pas cette fois.

C'était de la peur et de la haine qu'il avait lu dans leurs yeux, le tout accompagné d'un trouble certain. Ni Jackson ni Isaac n'avait été capable de dissimuler leur véritable ressenti. Ils s'étaient contrôlés, bien sûr, mais Noah n'était pas bête – et il avait des yeux d'adulte... Et le cœur d'un père, brisé.

Le choc avait cela de bien qu'il l'avait empêché de commettre une bêtise aussi grosse que stupide. Prendre sa voiture, rouler à fond les ballons, s'arrêter devant chez Melissa, mettre son poing dans la figure de Scott sans jamais donner la moindre explication à sa mère. Ce n'était pas son job, ni son rôle.

Or, faire ceci était bien évidemment la pire idée qu'il aurait pu avoir car Scott, aussi jeune et adolescent qu'il puisse l'être, restait avant tout un loup-garou. Un alpha à la force incommensurable. S'il avait été assez perfide et pervers pour droguer et poser ses mains sur Stiles, rien ne l'empêchait d'user de ses griffes pour lacérer Noah et le réduire ainsi au silence. Et le shérif n'avait pas la moindre intention de mourir ou de faire un quelconque séjour à l'hôpital : il se devait d'être là pour son fils car, aussi serviables que puissent se montrer Isaac et Jackson, ceux-ci avaient une vie à côté et ne tarderaient pas à la continuer de leur côté. Noah se demanda néanmoins fugacement comment des adolescents pourraient passer autre chose aussi facilement. Pour lui, il s'agissait d'un véritable défi... Et il espérait que ces garçons avaient un entourage suffisamment proche et compréhensif pour les soutenir. En tant que shérif, il savait à quel point un témoin pouvait souffrir d'un crime, même lorsqu'il ne faisait que l'effleurer : c'était là le principe de l'humanité, de l'empathie. Aussi froids qu'avaient tenté de l'être les deux loups-garous, aucun d'eux n'était dépourvu de cette empathie qui les avait fait prendre toutes les dispositions possibles pour assurer à Stiles la meilleure sécurité possible.

Et Noah, tout bouleversé qu'il fut, n'était malheureusement pas en état de les remercier pour leur dévotion sans égale... Tout comme il se savait incapable de prendre la place d'Isaac à l'étage pour le moment. S'il arrivait à penser avec lucidité, il ne s'agissait en réalité que de petits moments passagers, des bulles isolées les unes des autres. Mises bout à bout, elles permettaient de mettre en lumière une réflexion un peu plus complète qui demeurerait toutefois insuffisante... Car tant que Noah n'aurait pas digéré les évènements, il ne pourrait pas prendre la situation en main. En somme, la réflexion serait là, mais sans les décisions qui en découleraient naturellement.

Noah poussa un profond soupir qui lui fit mal à la poitrine. Il avait dans le cœur un poids lourd d'impuissance et un sentiment de culpabilité sans égal... Car c'était lui qui avait fait rentrer le loup dans la tanière. Il avait accueilli Scott à bras ouvert et lui avait livré Stiles sur un plateau d'argent sans se douter une seule seconde du fait que ses intentions à son égard puissent être non pas mauvaises – le terme lui paraissait trop doux – mais monstrueuses.

Mais le shérif avait suffisamment de colère en lui pour ne pas céder au désespoir qui, pourtant, menaçait de de le submerger à chaque seconde qui passait. La fureur était, en plus du choc, ce qui le maintenait vissé sur le faux-cuir du canapé du salon. En cela, il pensait de façon pratique : s'il acceptait de plonger et choisissait la solution de facilité, qui s'occuperait de Stiles, une fois Isaac parti ? Qui jouerait le rôle de père, celui qui lui revenait de droit et qu'il remplissait aussi bien que possible ? Il était le dernier membre valide de sa famille à être encore en vie et il y tenait, à son fils. Plus jamais il ne laisserait Scott McCall s'approcher de lui.

La logique voudrait que Noah se méfie désormais de tout le monde, de l'intégralité des amis de son fils. Et, à vrai dire, cette défiance lui viendrait plus tard – peut-être. En attendant, il se reposait sur les épaules de ceux qui l'avaient mis face à la vérité et qui avaient eu l'air aussi décontenancé que lui – pour l'instant, du moins. Il ferma les yeux, s'autorisa un instant de vide.

A l'étage, Isaac ne faisait pas que veiller sur Stiles : il surveillait également le père qui, s'il avait eu quelques paroles intelligibles, restait dans un état des plus préoccupants. Sa lucidité flirtait avec ce choc qui ne quittait pas les traits extrêmement tirés de son visage fatigué.

Celui de Stiles était d'une pâleur sans nom. Il était déstabilisant pour Isaac de le voir immobile aussi longtemps... Dormir si profondément. Il lui avait toujours connu des problèmes de sommeil et plus particulièrement une certaine tendance à l'insomnie. Pour avoir déjà dormi avec lui, lorsque la meute se réunissait au loft de Derek et installait toutes les couchettes au salon, Isaac savait que Stiles bougeait sans arrêt, qu'il rêve ou non.

En songeant à cela, Isaac se fit la réflexion que des soirées comme ça, il n'y en aurait plus, que beaucoup de choses... Risquaient de changer, au sein de la meute... Cette même meute dont le destin était lui-même incertain.

Car ce n'était pas n'importe lequel de ses membres, qui avait agressé Stiles. On parlait ici de l'alpha, de celui qui avait rassemblé les uns et les autres sous un même étendard, les mêmes valeurs. Pour être honnête, Isaac avait peur des conséquences de son éclatement probable. Bien sûr, il ne chercherait jamais à taire et couvrir les agissements d'une telle pourriture, mais il devait avouer... Qu'il avait terriblement peur de se retrouver seul. La meute était une entité grâce à laquelle il avait trouvé sa place et une certaine sérénité. Sans elle, sans ses repères... Isaac se demandait bien ce qu'il allait faire. Quoiqu'il se savait débrouillard : il trouverait sans doute le moyen de rebondir. Simplement... Il avait tout de même encore du mal à l'imaginer. Comment les choses avaient pu déraper d'une telle manière ? Comment Scott avait-il pu faire une chose pareille ? De par son acte, il avait d'ores et déjà détruit nombre de choses... A commencer par la vie de Stiles.

Le reste... Isaac le savait : l'implosion de la meute et de la confiance de chacun était latente.

Le loup-garou soupira avant de reporter son attention sur son téléphone, dont l'écran venait de s'allumer, illuminant par là la chambre auparavant plongée dans la pénombre. Par souci de discrétion, il l'avait mis en silencieux car même si le sommeil de Stiles semblait lourd, Isaac avait peur que le moindre bruit le réveille. Il ne savait pas quelle était la quantité de drogue qu'il avait ingérée, mais... Il était d'avis que son repos devait être total. D'un autre côté, le jeune loup se rendait compte que ne pas entendre la moindre vibration était un délice pour ses oreilles sensibles.

Isaac se saisit donc de son cellulaire, qu'il avait posé sur la table de nuit et le déverrouilla. La notification lui indiquait qu'il avait reçu un message... Et le nom de son destinateur fit battre son cœur bien plus vite qu'auparavant. Appréhensif, Isaac ouvrit le message pour découvrir les quelques mots que Derek lui avait écrits. Jackson lui avait-il déjà parlé ? La réponse, il la comprit rapidement.

« Je te remplacerai demain matin à la première heure. »

The Saving SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant