Chapitre 6 : RER B, Baiser raté et on a sextoté...

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— Qu'est-ce que tu veux ? me demande Valentin, après de langoureux baisers.
— Tu as un préservatif ?
Trop direct.
— Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-il.
— Que tu fasses tout ce que tu peux pour me faire le plus de bien possible...
Trop long.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Toi.
Parfait.

En réalité, quand Valentin m'a dit : qu'est-ce que tu veux ?
J'ai répondu : rentrer chez moi.
Il a alors disparu dans cette chambre d'hôtel,
et moi je suis sortie en refermant la porte derrière moi.
J'ai rêvé de ça aussi : frapper à cette porte, le réembrasser, me déshabiller...

Mais je rentre chez moi.
Je suis toute chose de ce baiser dans l'ascenseur.
Mais, quand je constate qu'il fait nuit noire dehors, l'atmosphère devient plus grave.
C'est le couvre-feu-confinement : c'est dire qu'il n'y a personne dehors...
J'ai peur. Et je me surprends à courir alors que personne ne me poursuit.
Je descends dans une bouche de métro, mais comme il y a trop d'hommes qui y dorment, allongés sur le sol,
je retourne dehors (sait-on jamais), recherchant un autre métro,
et je finis par suivre une femme-violon qui marche jusque Opéra (métro 3, RER A).
Ma mère m'appelle quand je marche dans les souterrains : c'est la deuxième fois qu'elle appelle,
j'arrive...
Assise dans le RER B, je rêve à mon premier baiser,
mais, en levant la tête, je m'aperçois qu'il y a un homme qui me fixe,
Oh non. Les femmes-qui-prennent-les-transports savent que ça commence comme ça : par un regard...
Je descends, il descend.
(Je me dis que tout le monde descend à Gare du Nord.)
Il me parle sur le quai, je m'éloigne sans rien dire,
et quand je monte dans un autre train en direction de l'Aéroport Charles-de-Gaule, il monte derrière moi : dans le même wagon.
C'est là que je commence à avoir peur. Je regarde autour de moi : il y a une dizaine d'hommes dans le wagon. Je me dis donc que ça devrait aller...
Je rêve tout le trajet : et quand je descends au terminus, l'homme-qui-me-fixe n'est plus là.

Une voiture m'attend sur le parking, derrière les arrêts de bus : Terminal 3. Mon père est au volant. Ma mère l'accompagne. On dirait pas comme ça, mais mes parents divorcent. Pour de vrai. Pas comme la fois, à Clichy-sous-bois, où ma mère a jeté les affaires de mon père dans la cage d'escalier de notre immeuble, et que, en rentrant de l'école, nous étions tombés dessus...
Non, cette fois, c'est pour de vrai : ils divorcent et ils vendent la maison. C'est dire que c'est la fin de vingt-cinq années de mariage entre ma mère et mon père.
Et pourtant, les voici, inséparables, à parler, à rire, à s'aimer : je n'ai jamais compris l'amour qui lie mes parents...
Je suis montée dans la voiture sans rien dire : et mon père a roulé.
Dans la voiture, le plus souvent, quand mes parents écoutent de la musique, ils écoutent Garou ou Joëlle C (une chanteuse ivoirienne décédée à l'âge de 37 ans).
Je ne me souviens pas de ce qu'on écoutait dans la voiture ce jour-là : je me souviens seulement que c'était calme...
Mes parents ne m'ont pas fait la morale quand je suis arrivée. Je ne crois pas qu'ils sachent que j'étais avec un homme ni même qu'ils ne l'imaginent.
La dernière fois que ma mère m'a fait des tresses,
elle m'a dit, en me coiffant, que Maryse a petit ami (ma sœur avait rétorqué que c'était son meilleur ami), et que moi je n'en ai pas,
et moi, je lui ai dit, par plaisir de la contredire, que je voyais quelqu'un
(ce quelqu'un, c'était Valentin : sauf que je ne lui ai pas dit),
et ma mère, qui devait être satisfaite de ma réponse, n'a rien ajouté d'autre.
Plus tard j'ai pensé que, ce jour-là où ils sont venu me chercher en voiture, mes parents devaient savoir que j'étais avec un homme (d'autant plus que c'était la Saint-Valentin), mais, puisque c'est Sharon, celle qui n'a pas d'ami, celle-qui-ne-sort-jamais, je me dis que c'est pour cela qu'ils ne m'en ont pas tenu rigueur.

Je rentre enfin chez moi.
J'habite loin. J'habite dans une ville située à la frontière des Hauts-de-France et dont le slogan est « la ville à la campagne ». J'habite le quartier des écrivains : rue Rabelais.
C'est en habitant ici que j'ai découvert que j'étais noire...
Ici : dans une maison, avec quatre chambres, un jardin, une cheminée, une véranda,
avant d'habiter ici je ne connaissais pas ce mot-là « véranda »,
et l'on dormait à quatre dans une chambre.

Pourquoi je déteste WattpadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant