Chapitre 13 : baby-sitting

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La première fois que j'ai mis les pieds chez la famille où je fais du baby-sitting, j'ai été émerveillée par la quantité de livres qu'ils possédaient. Ils vivaient dans une vraie bibliothèque : il y en avait dans toutes les pièces... De Virgile à Kafka, en passant par des livres d'art... Ça en devenait presque vertigineux... Au début, je les parcourais des yeux sans oser les toucher. Je ne voulais pas déranger. Mais, passée trois ans, quand je débarquais à la maison avec les enfants, j'ouvrais le réfrigérateur pour prendre un morceau de comté.

J'aime bien les enfants que j'ai gardés. J'ai gardé tous les enfants de cette famille, à un moment ou un autre. Ils sont trois, au total. Deux filles et un garçon. Avec des caractères différents, bien distincts même. Le dernier a le rythme dans la peau et la joie au coeur, la cadette a beaucoup d'humour et d'imagination, et l'aînée qui joue du violon est de nature très sensible et appliquée. J'ai travaillé cinq ans (de ma première année de licence jusqu'à l'obtention de mon master) dans cette famille : et cela s'est toujours très bien passé, tant avec les enfants qu'avec les parents.
La mère est très aimable. Elle est professeure de lettres agrégée. Elle peint, aussi : ses tableaux sont accrochés un peu partout dans leur appartement. Et les enfants – ses enfants – sont adorables, très bien élevés et très intelligents. Je me souviens de m'être fâchée une fois ou deux contre chacun d'eux, mais, pour le reste, ils ne m'ont jamais posé aucun souci. Je n'ai pas eu de souci non plus avec la mère ou le père, le père étant de nature très sympathique. C'est dire que toute la famille a trouvé grâce à mes yeux.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour me rendre compte que c'était des bobos. Avant que les plantes vertes, le quartier parisien et le landau sophistiqué du petit dernier, n'achèvent de me mettre sur la voie. Nonobstant, je crois que je les ai toujours regardés comme ils sont : c'est-à-dire comme une famille géniale. J'ai toujours été très touchée par la manière dont ils s'aiment les uns les autres, les frères et sœurs, les parents et les enfants, et même les parents entre eux – je pense à quand la mère m'avait raconté une histoire, qui était celle du père, comme si c'était la sienne, laquelle m'avait, par ailleurs, inspiré le début de ma nouvelle La Nuit Étoilée –, trouvant chez eux un environnement paisible et chaleureux. Il m'a toujours semblé que c'était une famille remplie d'amour et de bienveillance... Je crois que j'ai eu beaucoup de chance d'être tombée sur eux. Or, en écrivant, je me dis, avec du recul, qu'il avait également eu de la chance d'être tombée sur moi.

La plupart du temps, lorsque je garde les enfants, je joue avec eux.
Après qu'ils ont pris le goûter et fait les devoirs, on joue. Parfois on danse, on écoute de la musique, on lit, on dessine ou on discute. Mais, le plus souvent, on joue.
On joue aux playmobils, on joue au restaurant, on joue à la maîtresse, on joue au kapla, on joue à la maison de poupée, on joue à des jeux de société. On joue à incarner un personnage (qui sont souvent les mêmes), imaginant quelques aventures, voyageant partout dans le monde ou à travers le temps, tout en étant dotés, quelquefois, de costumes ou de pouvoirs magiques. Bref, on joue. On imagine. On invente des histoires.
Au goûter, j'avais également l'habitude de leur raconter des histoires – histoire de penser à autre chose qu'à mon estomac que je souhaitais garder le plus vide possible par fermeté du jeûne ou du régime que je suivais. C'était des contes de mon invention, des récits que j'ai lus en cours, des intrigues que j'ai vu à la télévision, ou encore, lorsque le ton s'y prête, certaines de mes anecdotes personnelles, auxquels les enfants montraient toujours quelques vifs intérêts. Mais, il m'est souvent arrivé à l'heure du goûter de manger avec les enfants ou de parler avec eux, les interrogeant pour qu'ils me racontent quelques anecdotes ou souvenirs qui leur sont propres, s'ils n'étaient pas très loquaces. Les enfants m'apprennent souvent des choses, lorsque l'on parle à table. Je leur apprends souvent des mots, et inversement. Je ne connaissais pas le mot « beurrier » par exemple. Et les enfants ne savaient pas ce qu'était – je leur racontais une histoire – une « battle de danse ». Je crois qu'on a beaucoup appris des uns des autres, en parlant ou en se côtoyant durant ces quelques années.
Ils n'avaient pas autant conscience que moi, que l'on venait de deux mondes différents. Que je ne venais pas d'un monde où l'on appelle les vacances d'hiver – comme dit le petit dernier – les « vacances de ski », d'un monde où l'on fréquente des écoles privés catholiques, d'un monde où l'on jette un biscuit à la poubelle parce qu'il est malencontreusement tombé sur le carrelage (là où je me suis surprise à aller y récupérer une bouteille de lait usagé à cause des regards interdits qu'ont fait les enfants parce que je m'étais malencontreusement trompée de poubelle). Je ne crois pas qu'il avait conscience de tout cela autant que moi. Il leur a même fallu beaucoup de temps pour qu'ils s'aperçoivent de la différence de notre couleur de peau, sachant qu'ils n'ont pas tardé à me faire remarquer que je n'arrêtais pas de répéter « maman. maman. ». Mais je crois que, malgré tout, malgré nos différences, les enfants m'ont toujours regardé comme je suis, c'est-à-dire comme « la plus gentille », ou comme, a écrit la cadette, « la meilleure baby-sitter ».

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 05 ⏰

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