Chapitre 7 : L'amour...

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Il y a quelques semaines, avant que l'on ne s'échange nos premiers messages avec Valentin, mon père nous a fait asseoir, mes sœurs et moi, dans le salon. Quand mon père nous fait asseoir, c'est qu'il a quelque chose d'important à nous dire. Quand mon père nous fait asseoir, c'est qu'il a quelque chose d'important à nous dire. On ne peut pas refuser de s'asseoir, on ne peut se lever avant qu'il est terminé, on n'a pas le droit de le contredire. On n'a pas le droit de parler. On doit se taire et écouter. Je crois que la dernière fois qu'il nous a fait asseoir, c'était
ou pour nous dire que le Père Noël n'existe pas,
ou pour nous dire qu'il n'avait jamais trompé ma mère.
Mais, cette fois-ci, personne ne pouvait imaginer ce qu'il s'apprêtait à nous dire. Nous sommes toutes assises sur le canapé, Lauren, Maryse et moi, et mon père est assis, comme à son habitude, sur la cheminée.
C'est là que mon père dit que notre mère est une prostituée.
Il dit qu'il ne peut pas épouser une prostituée. Et que c'est pour cette raison qu'il divorce notre mère. (Je crois que ce que mon père essaie de nous dire, c'est qu'on est des fils de pute.)
On éclate de rire, mes sœurs et moi. Mais, en réalité, ce n'est pas drôle : c'est triste...
Mon père dit qu'il a des preuves contre ma mère : il dit qu'il a un « film » à nous montrer. Ce film, c'est une vidéo où il avait prévu de faire passer l'actrice – dont on ne voyait pas le visage – pour notre propre mère.
On lui dit qu'on ne veut pas voir ce film.
Et mon père, qui a dit ce qu'il avait à dire, se lève et sort du salon.

Ma mère rentre peu après : elle s'avance lentement, les larmes aux yeux.
— Vous savez que votre père raconte sur moi ? dit-elle, la voix mouillée de pleurs.
Je prends la parole (parce que je ne veux pas l'entendre dire ça) : Yaco, maman. On sait que c'est faux. On est derrière toi, ne t'inquiète pas...
Ma mère dit tristement qu'elle court après le travail pour rentrer à la maison, qu'elle ne sort jamais, qu'elle refuse d'aller en vacances avec ses copines, tout cela pour être une bonne épouse. Tout cela pour que son mari, à la première occasion, l'accuse et la salisse...
En effet : mon père est parti raconter cette histoire à tout le monde, à mes tantes et à mes oncles, aux cousins-cousines, aux amis de la famille,
jusqu'aux agents immobiliers qui s'occupent de la vente de notre maison.
Il a raconté cette histoire à tout le monde, à qui veut l'entendre,
en France et en Côte d'Ivoire...

Lorsque j'ai dit à ma mère que je voulais raconter l'histoire de leur divorce dans mon livre, celle-ci s'y est fermement opposée. Elle m'a dit, en me coiffant, un peu avant que je n'écrive à chapitre, qu'il ne faut pas raconter ce que papa a fait de mal de son vivant ; c'est pour, dit-elle, entretenir sa mémoire.
Puis, écoutant mes arguments, elle a fini par me laisser dire. Cette histoire, je ne la raconterais pas si mon père ne l'avait pas déjà raconté à tout le monde.
Et pourtant, croyez-moi, j'ai longuement hésité à publier ce chapitre...
Je crois que je ne veux pas que l'on pense que mon père est le méchant de l'histoire.
Mon père n'a, par ailleurs, pas inventé tout seul cette histoire de prostituée : il lui a été soufflé par une espèce de charlatan-voyant-medium-thérapeute-pseudo-pasteur-prophète (après que ma mère l'a démasqué), mais ça, c'est une autre histoire,
une longue histoire, très riche en rebondissements, qui implique d'autres personnages,
qui nous ferait probablement tomber dans le réalisme magique,
mais qui nous écarterait trop de notre récit.
Toujours est-il que mes parents, à l'issue de ce grand remue-ménage, ont décidé de divorcer.

Quand j'ai appris le divorce de mes parents, je me suis souvenue d'un soir où mes parents étaient sur le point de sortir, comme ils faisaient souvent, pour se rendre dans le « jardin ». (Mes parents appellent « jardin » le parc d'à côté, et ils appellent le jardin « la cour ».)
Ce soir-là, Lauren a demandé pourquoi ils sortaient tous les soirs. Maryse et moi plaisantions en disant qu'il allait retrouver leur dealer. Or, ma mère a répondu, en souriant, qu'il allait seulement se promener un peu. Et mon père a rétorqué qu'ils partaient se remarier.
Ma grande sœur a alors répondu : dites plutôt que vous allez divorcer !
Et là, tout le monde a ri.
Puis, quelques années plus tard, ils ont vraiment fini par divorcer...

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