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Damien Campbell déverrouilla la porte principale en verre qui donnait sur la réception de Campbell publicity. Comme d'habitude, il était le premier arrivé, mais il savait qu'Ed Fellows ne serait pas très loin derrière lui : son bras-droit aurait besoin de son habituel coup de fouet à base de caféine pour démarrer sa journée. Il entra dans la petite salle bien équipée de l'étage et mécaniquement, mit en place les deux cafetières qui seraient nécessaires à son équipe. Un autre sourire : combien de PDG faisaient-ils ça chaque matin ?
Avec le gargouillis des machines et le merveilleux arôme qui commençait à se répandre dans la pièce, Damien alla à son bureau. La pièce vide à côté du sien lui rappela qu'il n'avait toujours pas d'assistant personnel et il espérait que le problème serait résolu dans les prochains jours. Il entra dans ses toilettes privées et accrocha son manteau sur un cintre, s'arrêtant devant le miroir.
« Est-ce qu'aujourd'hui sera le grand jour ? ».
Dès que la pensée traversa son esprit, une autre suivit aussitôt.
« Laisse tomber, pour l'amour de Dieu. Tu sais qu'il ne va jamais le faire Il devra être à l'article de la mort d'abord ».
Damien regarda, résigné, son reflet dans le miroir de plain-pied, ses doigts se portant automatiquement sur la cravate de soie bleue et noire jusqu'à ce qu'elle soit parfaite. Il recula, s'adressa un regard critique sur l'effet général, essayant d'ignorer la pensée qui s'infiltrait à travers son cerveau avec une régularité gênante depuis ces deux dernières années.
Son costume bleu marine à fines rayures s'adaptait parfaitement à ses contours et le bleu pâle de sa chemise faisait ressortir la peau nacrée à la base de sa gorge. La silhouette dans le miroir était mince, avec des hanches étroites, une taille fine surmontée d'un large torse. Des cheveux courts et noirs encadraient un teint crémeux qui faisait ressortir le bleu méditerranéen surprenant des yeux de Damien , si bleus en fait que les gens pensaient souvent, à tort, qu'il portait des lentilles de contact.
Un dernier regard dans le miroir. Amusant. Il ne se sentait pas plus vieux. Les yeux azur le fixaient et Damien sourit avec lassitude.
- Joyeux 30ème anniversaire, murmura-t-il à son reflet.
Sa pensée rituelle revint une fois de plus, provoquant une brève levée d'espoir dans sa poitrine, mais le cynisme l'emporta.
« Aucune putain de chance ».
Il poussa un soupir d' exaspération et sortit de la salle de bain. Jetant son journal du matin sur le canapé devant la fenêtre, Damien baissa les yeux et regarda Londres. Il n'était que 7 heures 30, mais déjà les rues se remplissaient de gens qui allaient travailler par ce froid matin d'octobre. Il se pencha contre la vitre, ses yeux perdus dans le vague pendant un moment, réfléchissant à sa propre situation.
- Seigneur, avoir trente ans n'est pas une si mauvaise chose que ça, n'est-ce pas patron ? Tu penses déjà à sauter ?
Damien sursauta légèrement comme les mots d'Ed éclataient sa bulle et traversaient les méandres de ses réflexions intérieures. Il sourit à son chef de bureau qui se tenait à la porte, sa veste de motard en cuir, sur son épaule.
- Insolent !
Il fit un geste de la tête en direction de la cuisine.
- Le café est prêt.
Ed gémit.
- Est-ce que je t'ai dit récemment que je t'aimais, patron ?
Damien eut un petit rire.
- Va donc dans la cuisine nous chercher deux tasses, puis ramène ton cul ici. Je vais passer en revue les choses à faire pour aujourd'hui. Ed acquiesça avec empressement et partit à la recherche de sa dose de caféine. Damien secoua la tête, en souriant. Il aimait l'ambiance agréable qui existait depuis toujours entre Ed et lui. Il n'y avait aucune formalité : Damien était peut-être le chef d'entreprise, mais il interagissait avec tout son personnel dans une bonne ambiance de travail. Non pas que son père approuve, bien sûr, mais cela permettait à l'entreprise d'avancer de manière plus constructive.
Juste à ce moment-là, ses yeux se posèrent sur le portrait qui trônait derrière son bureau et son sourire s'estompa. Son père le regardait depuis le tableau, le visage figé dans une expression chaleureuse. Damien regarda pendant une minute ou deux Justin Campbell , le visage public de Campbell publicity , l'homme que tout le monde connaissait comme la force motrice de la maison d'édition la plus prometteuse d'Europe. Damien crispa la mâchoire.
- Il devra bien te laisser les rênes à un moment ou à un autre, Damien.
Le ton d'Ed était chaleureux et compréhensif. Damien regarda le jeune homme sérieux qui le dévisageait avec inquiétude. Il serra les lèvres.
- Mettons-nous à la tâche, veux-tu ?
Ed hocha la tête une fois, message parfaitement reçu et compris. Les deux hommes étaient assis sur le canapé, comme Damien passait en revue tous les détails du planning de la journée, y compris l'ordre du jour de la réunion de l'équipe prévue pour neuf heures. Ed prit des notes et Damien sourit intérieurement en le voyant essayer de suivre son débit rapide et précis.
- Quand ton nouvel assistant personnel va-t-il commencer ? demanda Ed, avec une expression pleine d'espoir.
- Laisse-moi le temps, rétorqua Damien . Je ne lui fais passer un entretien que demain.
Il baissa les yeux et tapa de son index sur le dossier qui était sur ses genoux.
- Mais s'il est à moitié aussi bien en personne que sur le papier, l'entrevue sera une simple formalité.
- Oh, Dieu merci ! soupira Ed, faisant rire Damien sous cape. Ce n'est pas que je veuille paraître impoli, ni rien, patron, mais s'il te plaît, peux-tu essayer de garder celui-ci ?
Damien releva les sourcils et Ed se mit à rire.
- Oh, allez, nous avons tous lus les lettres de recommandation que tu as faites de à tes nombreuses assistantes.
Damien se sentit rougir.
Tout n'était uniquement de ma faute, déclara-t-il, obstinément.
Ed se mit à rire.
- Patron, elles ont tous dit la même chose de toi : tu es un tyran impitoyable.
Il sourit devant l'expression de Damien.
- D'accord, elles n'ont pas vraiment dit ça comme ça, reconnut-il à contrecœur, mais amusé tout de même, mais le consensus général est que tu attends beaucoup trop d'elles.
Le ton d'Ed était sincère.
- Peut-être que tu as eu une bonne idée de te trouver un assistant masculin. Celui-ci pourra peut-être en supporter davantage et rester.
Damien baissa une nouvelle fois les yeux sur le dossier. Dieu, il l'espérait aussi.
***
- Bon anniversaire, patron !
Damien sourit au chœur qui le salua en entrant dans la salle de conférence, son équipe étant déjà rassemblée autour de la table ronde en hêtre, tous les yeux braqués sur lui.
- Merci, les gars.
Damien sourit une fois de plus, jusqu'à ce qu'il aperçoive la chaise vide recouverte de ballons, portant tous le chiffre trente. Il gémit.
- Qu'est-ce que j'ai dit ? Vous saviez que je ne voulais pas de ce genre de chose.
Tout le monde se mit à rire, Ed plus fort que les autres.
Rick sourit.
- Ooh, allez, patron, vous n'aurez trente ans qu'une seule fois.
Ses yeux brillaient avec malice.
- Alors, dois-je comprendre que vous ne sortirez pas ce soir pour une petite célébration ce soir avec la délicieuse Melissa ?
Damien laissa échapper un gémissement plaintif. Tout le monde se mit à rire. Maudit soit son père. Justin Campbell semblait déterminé à trouver une petite amie à Damien, et essayait de mettre en place différents dîners mondains avec les prétendantes qui semblaient toutes sortir du même moule : vaniteuses, la tête vide, obsédées par les célébrités, n'ayant aucune conversation intelligente en dehors de ce sujet. Melissa Richards était la dernière en date, mais la plus déterminée. Toute l'équipe était au courant de la situation et sympathisait de tout cœur avec Damien.
Ce qu'aucun d'entre eux ne savait, bien sûr, c'était que la détermination de Melissa ne la mènerait nulle part. Non, à moins, qu'il ne s'avérait qu'elle soit un homme déguisé en femme.
- Celle-ci semble plus tenace que les autres, commenta Lizzie, avec un sourire en coin.
Damien jeta un regard dur dans sa direction, mais ne pouvait pas tout à fait dissimuler le petit tic qui relevait le coin de ses lèvres.
- Maintenant écoutez, vous tous, commença-t-il, essayant de paraître sévère. Si elle débarque un jour à l'improviste et avouons-le, d'après les évènements récents, cela arrivera très probablement... soyez gentils !
Il regarda fixement son équipe, les transperçant de son regard. Et autant pour ses regards d'avertissements : six paires d'yeux contenant tous les divers degrés d'amusement rencontrèrent les siens. C'était déjà assez désagréable lorsque son père débarquait à l'improviste. Quant à Melissa, Damien avait essayé de l'en dissuader, mais ses conseils lui étaient passés au-dessus de la tête.
- Assez de bavardages inutiles, les gars, annonça fermement Damien. Commençons.
L'atmosphère changea instantanément, alors que chaque membre de l'équipe faisait son compte rendu et annonçait les mises à jour sur les derniers auteurs et leurs contrats. Octobre semblait être un mois important concernant les soumissions et Damien savait qu'il allait avoir fort à faire dans les prochaines semaines. Son approche était très pratique et il essayait de présenter au moins vingt manuscrits par semaine,ce qui signifiait habituellement qu'il passait plusieurs soirées devant son ordinateur portable, à picorer un plat à emporter. Il soupira intérieurement : un de ces jours, il allait vraiment devoir se construire une vie en dehors de son travail.
Il jeta un coup d'œil autour de la table, sur son équipe de cinq personnes, toutes faisant partie de ceux qu'il avait embauchés lorsqu'il était arrivé à l'âge de vingt-quatre ans. L'équipe de son père étaient tous nés avec les mêmes signes distinctifs : plus de cinquante ans, aucun sens de l'humour, guindés et sans capacité à se projeter dans l'avenir. Cela n'avait pas pris longtemps à Damien pour voir que des changements drastiques devaient être effectués. Et ils étaient tous sacrément doués dans leurs domaines. Damien les avait tous triés sur le volet. Chaque personne gérait sa propre équipe et les membres sous leurs ordres, il était responsable de leur efficacité et de leur succès. Cela comprenait toutes les facettes de l'entreprise, et ils avaient une autorité absolue pour exécuter les choses comme ils l'entendaient. Personne ne venait râler ou se plaindre à Damien, ils faisaient juste avec. Il rayonna de fierté. Peu importe ce que son père disait - ces gars-là faisaient avancer la machine.
- La Terre appelle le patron, la Terre appelle le patron !
Damien sortit de sa rêverie interrompue par l'exclamation amusée de Rick. Il lui adressa une tentative de regard sévère, mais le jeune homme aux cheveux ébouriffés lui répondit simplement par un sourire et finalement, Damien le lui rendit.
- Désolé, s'excusa-t-il.
Peter sourit et adressa un clin d'œil au reste de l'équipe.
- C'est bon, patron, vous devez vous attendre à avoir quelques défaillances d'attention, vu votre âge.
Ses yeux brillaient de malice, puis il éclata de rire. Ils savaient tous que Peter était le plus âgé d'entre eux.
- Bon, c'est tout pour ce matin, dit Damien en se levant brusquement. Avons-nous fini ?
Hochements de tête autour de la table.
- Alors, retournez travailler, les gars.
Il frappa vivement dans ses mains. Les chaises furent repoussées et un par un, les membres de son équipe sortirent de la salle de conférence jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'Ed et lui. Ed le regardait, profondément plongé dans ses pensées.
- Quelque chose ne va pas, Ed ?
L'homme hésita pendant une seconde, puis secoua la tête.
Damien releva ses sourcils.
- Allez... Manifestement, tu as quelque chose à l'esprit.
Ed baissa les yeux sur la table pendant une seconde ou deux, puis rencontra le regard inquisiteur de Damien . Il prit une profonde inspiration, apparemment mal à l'aise. Damien fut immédiatement intrigué.
- Est-ce que... Est-ce que ton père t'a donné des indications quant au moment où il allait finalement te laisser les rênes de l'entreprise ?
Damien releva les sourcils. Ed sourit nerveusement.
- C'est juste que... Nous en avons tous parlés, Damien et pour être honnête... Toute cette situation est tout simplement la merde totale en ce qui concerne.
Damien s'assit dans son grand fauteuil, faisant lentement courir ses doigts le long de la surface polie de son bureau, sans croiser le regard d'Ed. Enfin, il releva les yeux.
- Ferme la porte, dit-il doucement.
Ed se hâta de faire ce qu'il lui demandait et s'assit face à Damien son expression devenant maintenant anxieuse.
Damien soupira.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? demanda-t-il doucement, mais fermement.
Ed gémit.
-Je savais que je n'aurais pas dû t'en parler.
Il poussa un profond soupir.
- Damien , depuis que tu as pris la direction après la crise cardiaque de ton père, tu as complètement transformé cette société. Tu as complètement changé la manière de travailler de Campbell publicity et les profits parlent d'eux-mêmes. Tu es un patron pour qui il est agréable de travailler, toute ton équipe pense que le soleil brille dans ton sillage - Damien se mit à rire - et pourtant tout ce que les gens de l'extérieur savent, dit-il en hochant la tête vers la fenêtre, c'est que tout ce succès est dû à Justin Campbell . Ils pensent toujours qu'il est le patron, ils sont tous persuadés qu'il a réalisé des miracles avec la société...
La voix d'Ed vacilla sous le coup de l'indignation.
- Donc, tu veux savoir pourquoi je fais tourner la société mais qu'il obtient tous les éloges, c'est ça ?
Ed acquiesça.
- Je suis désolé, Damien, mais ça pue ! Tu as fait des merveilles avec cette entreprise, mais tout le monde pense que tu n'es que le directeur général.
- Je suis le directeur général ! répliqua Damien , étonné.
- Non, tu ne l'es pas ! s'exclama Ed, ses joues s'échauffant. Allez, patron, Justin t'a donné la société, il y a six ans. Il a dit qu'il se retirait, qu'il était temps de donner à la jeune génération sa chance et toute cette merde.
La bouche de Damien s'ouvrit et béat devant cette explosion inhabituelle de son bras-droit.
- Mais il ne l'a dit à personne d'autre, n'est-ce pas ? Merde, il a même gardé le silence sur son attaque cardiaque. Et il n'a toujours pas démissionné. Il passe encore ici, vérifiant ce que tu fais, t'interrogeant sur chaque putain d'avancée...
Ed inspira profondément, essayant visiblement de se calmer.
- Damien, pourquoi fait-il ça ?
L'homme contempla ses mains sur la table, entrelaçant ses doigts.
- Je pense que dans un premier temps, il a eu peur, dit-il enfin. Peur de ce que le public pourrait dire s'il savait que la société était dirigée par quelqu'un tout juste sorti de l'université, l'encre sur son diplôme de gestion et de marketing pas encore tout à fait sèche.
- C'était ce que nous avons tous pensé aussi, admit Ed. Mais quelle est son excuse maintennt ?
Damien tu as trente ans aujourd'hui. N'est-il pas temps de reconnaître tes capacités à gérer cette société ? Je veux dire, comment as-tu pu rester assis là, l'année dernière lorsqu'il a gagné le prix de l'Entreprise de l'Année ? Sur ton dos ? Sur tout ton travail ? Damien regarda Ed.
- Et qu'aurais-je pu faire ? Aller à la cérémonie de remise des prix et dire au monde qu'ils le donnaient à la mauvaise personne ? Et qu'est-ce que cela aurait fait à Papa ? Il aurait été humilié.
Il secoua sa tête.
- Non. Je dois lui faire confiance dans le fait qu'un jour, il fera les choses correctement. Et ouais, j'ai espéré qu'aujourd'hui serait le grand jour.
Ed le regardait avec une telle expression de sympathie que Damien fut touché. Il adressa à son bras-droit ce qu'il espérait être un sourire rassurant.
-Mais jusqu'à ce que ce jour arrive, c'est comme d'habitude, d'accord ? Ce qui veut dire que j'ai une société à faire tourner et qu'être assis ici avec toi ne va pas faire avancer les choses.
Il se leva, se dirigea vers Ed et lui tapota affectueusement l'épaule.
- Alors, retournons travailler, d'accord ?
Les yeux d'Ed rencontrèrent les siens pendant un moment. Finalement, il hocha la tête.
- C'est toi le patron.
Damien sourit de nouveau, plus chaleureusement cette fois.
- C'est exact, je le suis.
« Alors Papa... Aie un peu confiance en moi, pourquoi n'y arrives-tu pas ? »

Je suis tomber amoureux de mon assistantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant