Chapitre 9

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 La proposition qui venait de lui être faite laissa Caroline sans voix. Une succession d'images, d'envies et d'émotions la traversèrent. Jamais elle n'aurait pu imaginer passer plusieurs jours avec Alexandre à ce stade de leur relation. Plus encore avec ce qu'il lui avait laissé entendre sur une possible relation entre eux. Il lui avait demandé de prendre son temps et de bien apprendre à le connaître, et là, il l'invitait à passer trois jours chez lui. Mais après tout, n'y a-t-il pas mieux que de vivre quelque temps avec une personne pour apprendre à en cerner les contours ?

- Je précise que c'est en tout bien tout honneur, insista Alexandre.

- Oui oui, j'avais bien compris, répondit la jeune femme qui, cependant, n'aurait pas refusé une offre moins honorable. Mais je n'ai rien prévu. Je n'ai rien pour me changer...

- Nous pouvons passer chez toi après dîner pour que tu prennes le nécessaire.

- Bon, je veux bien. Mais tu n'as pas peur de me trouver insupportable à t'avoir dans les pattes pendant tout ce temps ?

- Oh je pense que j'arriverai à gérer. Et puis si tu n'es pas sage, je te ramènerais chez toi avec un mot sur ton carnet à faire signer à ta mère, s'amusa le professeur. Ça ne serait pas la première fois.

La jeune femme sourit au souvenir de ce jour où, peu de temps après la mort de son père et passablement énervée, elle avait déchiré en plein cours, un devoir auquel il avait mis une mauvaise note. Quand elle avait repris ses esprits, elle avait regretté son geste et s'était trouvée bête d'avoir eu une attitude aussi puérile. Alexandre n'avait pas cherché à la sanctionner plus qu'une simple réprimande sur son carnet.

Le repas était prêt et les deux amis passèrent à table. Caroline savoura avec plaisir la cuisine qui lui fut servie. Quand elle lui fit remarquer qu'il était un excellent cuisinier, Alexandre modéra le compliment en confiant qu'à part trois ou quatre recettes, dont celle-ci, il n'était pas vraiment doué et que sa spécialité était surtout de savoir utiliser le micro-onde.

Pour accompagner la valse des fourchettes, ils discutèrent de choses et d'autres, comme deux vieux amis le feraient. L'étudiante interrogea l'historien pour comprendre comment il avait pu devenir auteur pour la maison d'édition où ils allaient se rendre. Hutain expliqua qu'une quinzaine d'années plus tôt, un de ses anciens professeurs de fac, atteint d'une lourde maladie et incapable d'écrire seul, lui avait proposé de participer à la rédaction d'un ouvrage très sérieux sur l'histoire des prisons et des bagnes en France. Alexandre ayant réalisé un mémoire, durant ses études, sur la citadelle de Saint-Martin de Ré et sa transformation en établissement pénitentiaire au XIXe, s'était vu confier une grande partie de l'ouvrage. La cosignature du livre le fit remarquer par un éditeur régional qui cherchait des historiens pour une collection d'ouvrages historiques d'une grande rigueur scientifique tout en restant grand public. Depuis il avait signé ou cosigné une dizaine de titres. Ce travail n'était pas forcément très bien payé, mais il aimait le travail de recherches que cela entraînait. Et puis transmettre ses connaissances à un public plus large que ses étudiants ou les autres historiens était gratifiant à ses yeux.

- Et tu n'as jamais eu envie de vivre uniquement de ta plume ? interrogea la jeune femme.

- Même en cumulant mes romans et mes livres d'histoire, je n'aurais pas les moyens d'en vivre de la façon dont je vis actuellement. Je pense qu'il faudrait que je vende le double de roman pour garder la même vie. Tu sais, les écrivains français qui vivent très aisément uniquement de leur droits d'auteur sont très peu nombreux.

- Ah bon ? J'avais cru qu'ils étaient plus nombreux. Quelques centaines, il me semble.

- Alors ce chiffre est valable sur une seule année. Tu as des tas d'auteurs qui vendent bien une année mais ensuite, ils restent plusieurs années sans avoir autant de ventes et donc de revenus. En réalité, ceux qui vivent confortablement de leur métier tous les ans sont quelques dizaines, expliqua Alexandre. Avec mes deux signatures, je gagnerais moins que ce que je gagne comme professeur à la fac et directeur de recherche. Mais je ne suis pas à plaindre car Sasha me rapporte pas mal de droits d'auteur. Ça reste quand même de la littérature érotique et donc c'est moins grand public que du Marc Lévy ou du Guillaume Musso. Et puis, tant que j'arrive à faire les deux, pourquoi me limiter ?

A la verticale du coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant