Chapitre 10

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Caroline suivit Alexandre dans son bureau, à l'étage. L'écrivain se plaça devant son ordinateur et y chercha un fichier qu'il ouvrit. Il céda ensuite sa place à la jeune femme.

- Ce n'est pas vraiment une nouvelle, annonça-t-il. C'est juste une scène qui m'est venue il y a quelques jours. Comme elle avait du mal à quitter mes pensées, je l'ai écrite en un seul jet, en pleine nuit. D'où ses imperfections.

L'étudiante posa les yeux sur l'écran et se mit à lire le texte en question. On y suivait les déambulations du narrateur au sein d'un bal masqué au château des Tuileries sous le Second Empire. L'homme paraissait être à la recherche d'une femme en particulier. Cette quête au milieu de la foule des convives était accompagnée d'une galerie de portraits de figures du Tout-Paris de cette époque. Mais le narrateur revenait toujours à sa seule préoccupation : retrouver celle qui à elle seule justifiait sa présence en ces lieux. Grâce à son parfum aux arômes de vanille, comme celui qu'aimait porter Caroline, il finit par la retrouver. La femme mystérieuse, vêtue d'une robe à crinoline beige, le visage à demi recouvert d'un loup de la même teinte, le reconnu également, malgré qu'il fut, lui aussi, porteur d'un masque au niveau des yeux et lui adressa un sourire timide. La lectrice, dans la description qu'en avait fait Alexandre, se reconnut sous les traits de cette femme. La même couleur de chevelure, des yeux. La même petite marque sur le front, le même grain de beauté au dessus de son sein gauche, à la verticale du cœur, révélé par le décolleté de la robe, faisant comme une cicatrice laissée par la flèche de Cupidon. Ce détail étonna Caroline. Comment Alexandre pouvait-il connaître la présence de ce grain de beauté ?

L'histoire continua, entre danses – quelques-unes seulement pour ne pas éveiller la curiosité des autres convives et alimenter les rumeurs de cette cour friande de ragots en tout genre – et regards insistants de cet homme sans nom et de cette femme mystérieuse et envoûtante. Chacun semblait souffrir de voir l'autre danser enlacé par d'autres bras qui n'étaient pas les siens. Caroline était totalement absorbée par sa lecture. Il lui semblait même entendre la musique du bal résonner à ses oreilles, percevoir le bruit des conversations, sentir l'odeur des cigares des hommes en uniforme d'apparat ou en frac.

Au milieu de la soirée la jeune femme au loup beige adressa un mouvement de tête en signe de salut au narrateur avant de disparaître. La fête, dans les descriptions qu'en fit Alexandre, devint immédiatement plus terne comme si seule la présence de la danseuse au parfum de vanille en avait incarnée toute la magie et la saveur.

Le narrateur quitta la fête impériale une demi-heure plus tard, le cœur et les pensées imprégnés de cette femme. Il ne fit pas attention au landau tiré par deux chevaux qui s'était immobilisé à quelques pas devant lui. Ce n'est que lorsque le cocher en descendit pour lui tendre un loup beige qu'il le remarqua. À l'invitation du cocher, le narrateur monta à bord du véhicule. Il pensa y retrouver sa danseuse mais il n'y avait personne. Les chevaux se mirent en marche et le conduisirent jusqu'à un hôtel particulier.

Guidé par une femme de chambre, le narrateur fut conduit d'abord dans un petit salon puis, quelques minutes plus tard, dans un boudoir où la jeune femme de ses pensées l'attendait simplement vêtue d'un déshabillé de soie bleu pâle. L'homme s'avança vers elle, porté par la passion qui le consumait. La danseuse ne se déroba point quand il posa ses lèvres sur les siennes. Après plusieurs longs baisers, elle s'écarta de lui, le prit par la main et le conduisit vers la porte qui séparait le boudoir de la chambre à coucher.

Quand ils furent à côté du lit, la jeune femme laissa tomber son déshabillé sur le sol et offrit son corps nu aux caresses et aux baisers du narrateur. S'en suivit une longue nuit d'amour passionnée dont le récit des longues étreintes torrides enflamma les sens de Caroline.

A la verticale du coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant