Chapitre 14

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     Pas un seul mot fut prononcé durant le trajet, si ce ne fut pour demander notre âge. Dix-huit ans. Ils n'avaient pas l'air d'avoir quelque chose à faire de nos vies, ni pourquoi et comment nous en étions arrivés là. Cela m'arrangeait. Quoi de pire d'être confrontés à des personnes suspicieuses comme Mario ? Nous ne savions pas mentir.

     La musique électro me suppliciait les oreilles mais ne semblait pas perturber Ezra outre mesure. Toujours allongé sur la banquette, le regard dans le vide, ses jambes sur mes genoux, il était difficile de déceler ce à quoi il pensait, là, à cet instant précis. Ce n'était pas l'envie de savoir, ou même le besoin, qui me manquait. Quelles étaient les sensations qui habitaient son corps ? Quelles émotions ressentait-il ? Quelles douleurs ?

Mon ange...

     Au terme d'une demi-heure de route, Stella s'arrêta. L'endroit où nous avions atterri ressemblait à une aire de pique-nique. Mais, ce n'était pas les tables qui intéressaient nos deux compagnons. Ils préféraient plutôt s'enfoncer dans une zone boisée.

     Kévin me pria de porter des sacs isothermes, et, sans que je prenne bien conscience de la succession d'évènements, nous nous retrouvâmes, Ezra et moi, assis au bord d'un feu. Kévin l'avait allumé dans une rapidité déconcertante qui témoignait sans le moindre doute de son habitude. De la même façon, dans des gestes mécaniques, ils sortirent deux bouteilles de vodka ainsi que des boissons énergisantes et des gobelets en plastique qu'ils remplirent. Je les aurais volontiers aidé afin de me faire bien voir, mais la douleur qui me transperçait le crâne m'ordonnait de ne pas bouger.

— Les autres devraient pas tarder, lança Kévin.

— Les autres ? demandai-je.

— Ouais. Un groupe de potes nous rejoint.

     Je jetai un coup d'œil à Ezra, soucieux de sa réaction. Mais, il n'en avait pas. Son regard aussi éteint que son corps était statique témoignait de son indifférence. Pour ma part, je désirais qu'ils ne viennent pas mais mon espoir fut bien vite envolé lorsque cinq personnes nous apparurent. Deux femmes et trois hommes. Agés entre vingtaine et la trentaine bien entamée, ils nous saluèrent à peine. L'un d'eux, un garçon aux cheveux long et à la barbe négligée, se contenta de nous lancer un bref regard avant de demander à Kévin qui étions-nous.

— Des mecs trouvés à la gare.

    Des mecs trouvés à la gare. Nous n'étions plus que cela. Des mecs trouvés à la gare.

     Ils s'installèrent tous autour du feu et sortirent à leur tour de la viande, des cigarettes, des bouteilles d'alcool, du cannabis et d'autres substances dont j'ignorais le nom et la composition.

     Les discussions démarrèrent au rythme de la musique et des verres qui se vidaient. Certains parlaient en français, d'autres en anglais, mais aucun d'entre eux ne nous adressa un mot, sauf pour nous demander ce que nous voulions. Ezra accepta une bière et, bien qu'il demeurait muré dans son immobilisme et son silence, j'étais rassuré qu'il ait encore la force de faire semblant.

     Ce fut dans la même optique que je portai un verre de vodka à ma bouche. Je n'étais toutefois par encore à la moitié lorsque des nausées me prirent. Mais je refusais de les laisser m'envahir. Quitte à effectuer des pauses entre chaque gorgée, quitte à inspirer profondément l'air frais dès qu'il le fallait.

     Les cinq minutes qui suivirent, la sensation désagréable passa. J'optai même pour un deuxième ainsi qu'un troisième. Et lorsque Kévin me tendit un joint, je ne refusai pas non plus.

     Son goût était immonde, la fumée me brûlait les yeux mais, que pouvais-je faire d'autre, sinon attendre ? Attendre que le temps passe. Quelle heure était-il, par ailleurs ? Nous avions quitté la plage vers dix-neuf heures. Il devait être minuit, dans ces eaux-là. Il s'était déroulé tant d'évènements. J'espérais au fond qu'il soit encore plus tard, peut-être quatre heures du matin. Plus que jamais, je souhaitais me retrouver installé dans le bus et dormir jusqu'à notre arrivée à Paris. Les fauteuils poussiéreux seraient bien plus confortable que ce sol jonché de branchages et de feuilles humides.

Ezra et Gabriel - TOME 2 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant