Chapitre 19

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     Outre la console, les films et les séries étaient aussi un bon moyen pour penser le moins possible. Je n'étais pas sûr de suivre l'intrigue mais les images qui passaient les unes après les autres suffisaient à dévier mon attention de mes scénarios pessimistes (pour ne pas dire cataclysmiques). 

     De fait, cela faisait déjà quatre jours que nous étions rentrés et que je n'avais toujours pas de preuve qu'Ezra était vivant à l'heure actuelle. Je m'accrochai donc à l'explication qu'il n'avait plus de portable, et que, non utilisateur de réseaux sociaux, il n'avait pas vraiment de possibilité de me contacter. C'était l'unique façon de tenir debout afin d'accompagner Céleste à ses sorties quand Maman était au travail.

     Quant à cette dernière, elle ne s'était toujours pas décidé à initier une discussion. Elle m'avait juste précisé, le lendemain de mon retour, qu'elle n'avait pas raconté toute la vérité à Céleste et que pour elle, j'étais partie au sud de la France. Cette absence de règlement de compte ne m'empêchait pas de déceler la tension qui planait dans l'atmosphère, sans exclure qu'elle l'amplifiait, même, parce qu'il était impossible de faire comme si rien ne s'était passé. Notre échange le plus long avait été sans doute hier après-midi, lorsque Victor, inquiet du manque de nouvelles depuis mon retour supposé de vacances fut venu sonner. Et parce qu'elle avait deviné que je ne désirais voir personne, Maman m'avait demandé si je souhaitais qu'elle lui mente. Oui. J'avais la grippe, avions-nous convenu.

    Hélas, c'était sans compter l'insistance de Victor auprès de ma mère. Elle avait fini par céder et il avait débarqué dans ma chambre, à mon grand désarroi.

     « Ça va, frérot ? » s'était-il enquis avant de s'allonger à mes côtés. Ma petite voix interne n'avait eu de cesse de l'exhorter de partir, mais cela aurait été bien trop cruel. Il avait discuté, discuté, incessamment puis avait fini par me proposer une partie de Play. J'avais accepté à contre-cœur, et à l'issue de deux – interminables – heures de jeu, il était repartit.

    Avec le recul, peut-être que sa visite m'avait fait du bien. L'oppression dans ma poitrine persistait et mon cerveau était toujours enduit d'une substance épaisse et gluante, mais cette nuit fut la première sans cauchemars répétés. À l'exception d'un seul. Celui de l'homme qui me poursuivait dans le salon. D'ailleurs, je m'étais réveillé ce matin avec la pensée qu'il s'agissait du père d'Ezra. Je n'avais pas vraiment de preuve en soit, mais le fait que mon esprit l'ait désigné à peine avais-je ouvert les yeux chassait le doute. Il n'y avait pas grand-chose d'étonnant. Mon cerveau mélangeait les derniers évènements.

     Ce qui n'était pas surprenant non plus était mon incapacité à effectuer mes devoirs. J'aurais aimé avoir le courage de demander à Maman si elle pensait qu'il était plausible qu'il soit mort à l'heure actuelle. Aussi me contentai-je de vérifier les informations, et puisque aucun article n'indiquait le meurtre d'un adolescent de seize ans par son père pris de fureur, je fus rassuré. Et puis de temps en temps, tout semblait évident : non, bien sûr que non, il n'avait pas été tué, il avait simplement été enfermé dans sa chambre à tout jamais, ou alors, envoyé dans un camp militaire ou dans une maison de correction pour mineurs délinquants.

     Fort heureusement, je n'allais pas tarder à le savoir, puisque les vacances scolaires s'achevaient. Jamais, depuis que j'avais porté serment à haïr le système scolaire français, je n'avais attendu avec autant d'impatience le retour au lycée. Le suspense insoutenable allait très vite prendre fin et je m'accrochais à l'espoir que les choses se dérouleraient ainsi : Ezra allait passer la porte de la classe, et tout en fronçant les sourcils face à mon visage noyé sous l'émotion, il me demanderait pourquoi je m'étais causé tant d'inquiétude : tout allait bien.

     Ce fut ce que je me répétai en boucle jusqu'au matin tant désiré de la rentrée. En attendant de vivre nos retrouvailles – si je me tenais au scénario le plus favorable à me concéder des forces pour me tirer du lit – il me fallut traverser bien des étapes pénibles. À commencer par le froid qui m'attendait au pied du lit, la chasse d'eau qui refusa de s'actionner, la pluie fine, le bus bondé, et entre autre chose, tout ce qui se liait, de loin ou de près, au lycée.

Ezra et Gabriel - TOME 2 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant