Chapitre 32

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— Pourquoi t'expliquer... Dans tous les cas tu diras que c'est la vie, que c'est le quotidien des milliers de jeunes de mon âge. Que le pire reste à venir. Que toute façon, si je fumais pas de cannabis, j'irai mieux.

— Eh bien, que dire d'autre ?

— Ben... Que tu sais que c'est dur et que je dois être fort... Que tu tiens quand même à que j'aie le bac car je ne sais pas encore ce que je veux faire et ça permet d'ouvrir beaucoup de portes, mais qu'après, je pourrais faire le métier qui me plaît.

— Et pourquoi te le dire toi-même ne te suffit pas ?

— Je sais pas... C'est pas la même chose, se le dire soi-même et l'entendre dire.

— Pourtant je ne vois pas ce que ça change. Tu ne m'écoutes jamais. Mes paroles ne comptent pas pour toi.

— C'est pas qu'elles ne comptent pas, c'est que généralement tu ne trouves pas les bons mots et ça ne m'aide pas...

— Ah. Tu veux que je dise ce que tu veux entendre.

— Ben, oui. Comme toi, je suppose, non ? Quand tu m'engueules parce que j'ai une mauvaise note, tu aimerais que je te réponde que c'était exceptionnel et que la prochaine fois je travaillerais plus.

— C'est vrai.

Elle s'installa à son tour et tapota la table de ses doigts, l'air pensif.

— À ce sujet, comment tu envisages la fin de l'année scolaire ?

— C'est-à-dire ?

— Ton prof principal m'a appelée et il est inquiet. Tu ne te concentres plus du tout et tes notes chutent. Tu as l'air totalement désinvesti.

— Je sais. J'allais pas bien parce qu'Ezra avait disparu.

— À ce point ?

— Ben oui... Pourquoi c'est si difficile de comprendre que je puisse être tracassé par le manque de nouvelles d'un pote ? Je t'en avais parlé, en plus.

— Oui et je t'avais rassuré, non ? Quand je t'avais dit que ses parents ne lui feraient pas de mal, qu'ils étaient juste inquiets.

— Oui...

À l'instar de notre dernière grande conversation, ses paroles ne m'étaient en rien chaleureuses, rassurantes... Son ton était cassant, froid comme du marbre... sur lequel je me frapperais volontiers la tête.

Elle se contenta de cette réponse, visiblement, puisqu'elle se leva pour retourner aux fourneaux. Pourquoi ne désirait-elle jamais que nos conversations dévient vers du mieux ? Elle n'avait pas l'air de vouloir arranger quoi que ce soit. Nous n'avions même pas avancé d'un pas. Tout stagnait comme une flaque d'eau de pluie. Avais-je réagis trop tard ? Son amour pour moi s'était-il définitivement évaporé ? Même à ce sujet elle n'avait pas su me rassurer. Elle ne réagissait que par la colère, la défensive, l'amertume. J'avais toujours l'impression d'être fou avec elle. Mais ça va pas la tête ? Tu as fumé quoi, encore ?

Peut-être que je l'étais, au fond. Et que cela s'expliquait pourquoi j'étais incapable de réagir comme un humain normal. Ma crise bizarre chez Papa, mon incapacité à pleurer. J'avais pourtant tellement besoin de déverser cette tension qui habitait chaque centimètre de mon corps depuis des semaines. Mes nerfs à vif, mes muscles crispés. Cette sensation d'être tantôt éviscéré, tantôt rempli de pierres lourdes et saillantes qui me transperçaient l'estomac. Et rien pour me soulager.

C'était d'une frustration abominable. Je me sentais si seul. Et plus je me sentais seul, plus j'avais besoin de tendresse. Plus j'en avais besoin, plus ma solitude devenait palpable, parce que je n'en recevais pas. Que fallait-il que je fasse ? Est-ce que si je me mettais à me frapper la tête contre la table, là, elle réagirait ? Ou si je me faisais écraser par une voiture. Non pas pour mourir, mais pour être suffisamment blessé afin de la préoccuper. Après tout, je ne voyais son amour qu'à travers ses yeux inquiets pour des broutilles. En revanche, elle n'avait toujours pas cerné mon degré de souffrance. Si c'était le cas, elle m'aurait enlacé depuis longtemps. Etais-je si nul pour m'exprimer ? Comment fallait-il formuler nos émotions ? De manière brute, comme je l'avais fait une fois à Ezra, lorsque je m'étais senti autant abandonné que maintenant ?

Ezra et Gabriel - TOME 2 (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant