Harper
De l'extérieur, ce ne sont que deux mecs qui discutent et se marrent. La distance qu'ils imposent entre eux est conventionnelle. Rien ne montre qu'ils se plaisent mutuellement ou qu'ils flirtent. Moi, je le sais. Je le vois, dans la manière qu'a Riley d'approcher son genou de celui du type. De tendre le bras pour jouer avec le dessous de verre, frôlant délibérément le poignet de son partenaire. De laisser libre accès à son cou pour qu'il puisse contempler son tatouage et qu'il le touche. August est là et ne dit rien. C'est qu'ils ont eu le feu vert et je sais très bien ce que ça implique.
Je ravale la bile qui remonte dans ma gorge. J'ai signé l'accord pour protéger le groupe, je voulais nous assurer un avenir et j'ai volontairement mis de côté mes sentiments pour ça. Lui n'en a toujours fait qu'à sa tête et ça me met en colère. Parce qu'il a le droit de faire ce que bon lui semble et moi j'assiste, impuissant, à sa débauche.
Il m'avait prévenu.
Et le plus difficile, c'est que je n'ai pas le droit de lui en vouloir, car c'est moi qui nous ai mis dans cette position, moi qui nous ai plongés dans cette situation, dans cette relation conflictuelle. Je regrette, oui, mais, sur l'instant, je ne pouvais pas faire autrement. Ça nous a permis d'en arriver là. Personne n'en parle mais je sais qu'ils en ont tous conscience, Riley aussi.
Nous le voulions, ce groupe ; nous le voulions, ce succès. Chacun pour des raisons différentes. La mienne, c'est ma mère. Je le fais pour qu'elle soit fière de moi, de mon parcours, où qu'elle soit. La musique m'a sauvé, a étouffé mon chagrin. Et elle continue, encore aujourd'hui. Même si mon chagrin n'est plus seulement pour ma mère.
Une main se pose sur ma nuque et je détourne mon attention du bar pour m'intéresser à ma meilleure amie. Elle a la mine sombre et n'a pas besoin de me dire quoi que ce soit pour que je comprenne ce à quoi elle pense. Je secoue la tête, plus pour combler notre échange silencieux.
– Arrête de t'infliger ça, hurle-t-elle par-dessus la musique en se penchant vers moi. Ça te fait du mal.
– Facile à dire.
– H, insiste-t-elle. Je sais ce qu...
– Je ne veux pas en parler, OK ? la coupé-je en me forçant à sourire.
Elle se mordille l'intérieur de la joue, comme si elle se retenait de dire autre chose, et se détourne pour entrer brièvement dans une conversation. À ses côtés, August est en train de parler avec Jeremiah Ferguson, un autre artiste de chez Echo Record, très en vogue en ce moment et qui s'est vite intégré à nos soirées. C'est comme une grande famille du show-biz, nous partageons tous le même rythme de vie et les mêmes besoins relationnels : nous nous comprenons, nous n'avons pas besoin de faire attention. Bien que, la plupart du temps, j'aie le sentiment d'évoluer dans un monde d'hypocrites et de faux cul, je sais qu'ils vivent, à quelques détails près, la même réalité que nous.
Niklas et Lance sont assis sur une banquette juste en face, avec Brittany Fores, une actrice que nous avons rencontrée lors d'une émission. Devenue une grande amie de Riley. Les rumeurs leur ont prêté une liaison, il ne les a jamais démenties, elle non plus. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si elles sont avérées et je ressens une certaine rivalité à son encontre. À elle et à une bonne partie de la gent féminine. À toutes les personnes qui ont le droit de l'approcher en public. Tous ceux qui peuvent lui parler, interagir avec lui, le toucher, ou l'étreindre, sans qu'il y ait quoi que ce soit à redire.
Et le blond du bar vient d'arriver en pole position.
J'ai envie de rentrer. Tout est en train de me rendre dingue et c'est encore ce que je sais faire de mieux, fermer les yeux pour ne pas devenir cinglé. J'ai consenti à prendre mes distances, je n'ai pas tiré un trait sur ce que je ressens pour lui. C'est ancré. Profondément.
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BLACK BLOSSOM (édité aux Editions Addictives)
RomanceColocs, partenaires de musique... et bien plus encore. Harper Tate est en dernière année à l'institut Evergreen et n'a qu'un seul rêve : que son groupe de musique, les Black Blossom, perce enfin ! C'est avec cet espoir fou que les musiciens s'inscr...