DEUX 🎸

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Harper


« I'm fired up and tired of the way that things have been » [1]

Believer - Imagine Dragons


Les écouteurs dans les oreilles, je suis attiré par l'écran de mon portable qui s'illumine pour la troisième fois. 7:22. Il n'y a qu'une seule personne aussi matinale que moi. Je l'attrape à contre-coeur, délaissant mon exercice d'Histoire, et avise les deux appels manqués et le nouveau SMS de mon père.

Après bientôt sept ans à l'Institut d'Evergreen, je ne l'ai jamais eu une seule fois au téléphone et pourtant, c'est la cinquième fois qu'il tente de me joindre en l'espace de soixante-douze heures. Je sais pertinemment ce qu'il cherche à faire : me forcer à rentrer à la maison. Quand Curtis Tate veut, Curtis Tate a, et ça m'agace au plus haut point. Sur les quatre semaines de vacances que j'ai passées à Londres cet été, je ne l'ai croisé que six jours. Paris. Dubaï. Monaco. New-York. Autant de destinations qu'il a vues plus que son propre fils. Son absence n'est ni étonnante, ni douloureuse. Elle fait partie intégrante de ma vie. Je ne le vois plus que quatre week-ends par an, depuis que j'ai l'âge de onze ans. On s'y fait. L'acharnement au travail a été sa façon de faire son deuil à la mort de ma mère. La mienne, a été de demander à être inscrit dans l'une des plus grandes écoles privées du pays. Même si elle est dans le trou du cul de l'Angleterre.

Mais ça c'était avant. Avant qu'il ne rencontre Nora dix mois plus tôt et qu'il m'annonce son emménagement à la maison. Depuis, il n'a jamais été aussi présent tout en étant toujours étrangement absent.

Dix mois.

Bon sang ! Et moi qui nourrissait l'espoir que s'il ne me l'avait jamais présentée jusqu'ici, c'était parce qu'elle ne comptait pas vraiment. Je me suis lamentablement trompé. Et je me sens minable.

Maman est morte il y a plus de sept ans. Est-ce que c'est une durée de deuil acceptable, quand il s'agit de l'amour de sa vie ?

C'est suffisant en tout cas pour qu'il fasse désormais passer son travail en second – mais toujours devant son fils.

Je mâchouille ma lèvre inférieure, massant ma poitrine pour tenter de faire redescendre la sensation d'étouffement. Je ne l'ai jamais vu. Je ne l'ai jamais croisé. Trois semaines qu'elle a débarqué avec son fils, et autant de temps que j'ai passé à fuir. L'internat m'a toujours paru oppressant, plus du tout depuis ces derniers jours. Ces murs qui me coupent du monde extérieur sont comme libérateurs.

Je survole l'écran, une boule de contrariété coincée dans la gorge.

Je n'ai pas envie de lire son foutu message, d'écouter ceux qu'il m'a laissés sur mon répondeur ou de le rappeler. De toute façon, il sait très bien que je vais rentrer ce week-end, ce n'est pas comme si je pouvais faire l'autruche jusqu'à la fin des temps.

Je retire mes écouteurs, laissant tomber le téléphone un peu bruyamment sur le bois de mon bureau et bascule ma tête en arrière. Les mains croisées derrière ma nuque, je fixe le plafond blanc de la chambre. Mes deux colocataires sont toujours endormis, dans leur lit respectif. Zachary, à ma droite, est enroulé sous sa couette, tellement que je ne vois rien dépasser si ce n'est l'un de ses pieds. Il ne s'est pas pointé à la première répétition du groupe de l'année, hier après les cours. Lorsqu'il est revenu dans la chambre, pile à l'heure du couvre-feu, il avait les yeux encore plus injectés de sang. À tel point que je me demande comment les professeurs font pour ne pas s'en rendre compte alors que toute l'école est au courant. Ou alors ils font tous semblant et vu le prix de cette école, c'est étonnant. Puis, ma tête dévie vers le lit dans mon dos et sur Riley qui dort. Son corps à moitié nu est aux vues et sues de tous. Un boxer pour unique vêtement, je bute sur sa vigueur matinale. Je pourrais rougir de la voir. Néanmoins, à force de côtoyer des mecs depuis que je suis ici, je ne me formalise plus de voir ni bite, ni mec en train de mater du porno.

BLACK BLOSSOM (édité aux Editions Addictives)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant