(L'HISTOIRE SERA RETIRÉE LE 31 MAI 2023 DE WATTPAD - sous contrat d'édition)
Le docteur Edna Flanagan ouvre le bouchon d'une bouteille d'eau et en verse une quantité dans un verre. Elle se penche vers la table basse qui nous sépare et le dépose devant moi. Je l'ignore. Elle a le même rituel à chaque consultation. Une sorte d'habitude qui doit donner l'impression au patient d'une routine sereine et familière. Je croise les bras dans une posture défensive et elle m'avise, la bouche pincée. Je sais ce qu'elle est en train de penser, je me referme alors que nous n'avons même pas commencé.
Elle n'a pas tort. Je suis en train de me demander ce que je fabrique ici. Ça me paraissait être une bonne idée, lorsque j'ai appelé pour prendre un rendez-vous. À une époque, ça me soulageait de venir lui parler. Elle était une oreille attentive pour le gosse que j'étais et qui se sentait seul – à cause d'un père absent et d'une mère acharnée de travail. Mais maintenant qu'elle est devant moi, à me sonder tout en me laissant de l'espace, j'ai l'impression d'avoir fait une connerie. Le secret professionnel la tient peut-être à distance, or elle sait qui je suis. Pas seulement un ancien patient aux problèmes de confiance et de gestion de colère. Elle sait ce que ça implique que je sois là. Si elle ne vit pas dans une grotte, elle a déjà vu mon visage à la télévision, entendu ma voix à la radio. Et pourtant, je n'arrive pas à sortir de son bureau.
— Est-ce que je peux encore te tutoyer, Riley ?
— Oui. Si je peux toujours vous appeler Edna.
Elle esquisse un sourire franc et hoche la tête. Elle est loin de ressembler à l'image des psychologues que nous balancent les films, assis dans leur fauteuil en cuir, qui se contentent de nous écouter geindre tout en écrivant de manière énigmatique sur un calepin tous les secrets de l'Univers. Edna ne note rien. Elle a l'air d'une adolescente dans sa période de rébellion, les cheveux très courts colorés et des Dock Martins aux pieds. Une chemise boyfriend et un pantalon large qui camoufle ses formes. Elle débute toujours ses séances en me proposant quelque chose à boire, parce que même si parfois j'arrive avec la ferme intention d'en dire le stricte minimum, elle réussit toujours à me faire me confier. Et parler déshydrate. Je l'observe se lever et lorsqu'elle attrape un paquet de cartes, je sais qu'elle a compris mes réticences. Selon mes manières d'interagir, ma façon de me tenir, elle sort un jeu. Je ne compte plus le nombre de fois où elle m'a tiré les vers du nez avec une simple bataille. Elle remue les cartes en me fixant droit dans les yeux et distribue, tandis que je reste mutique, jetant quelques coups d'œil vers la fenêtre qui donne sur l'extérieur. L'article du journal que j'ai déchiré il y a trois mois me brûle l'intérieur de la poche. Je ne l'ai pas pris par inadvertance. Je sais que tôt ou tard, elle va m'amener sur ce terrain là. L'unique raison pour laquelle j'ai eu besoin de la revoir, après tout ce temps sans elle.
— Tu habites encore à Bethnal Green ?
Je me penche pour récupérer le tas de cartes qu'elle a laissé devant moi. Sans les retourner, je les triture entre mes mains et dès qu'elle me fait un signe, nous débutons la partie.
— Plus depuis un moment.
— Tu as déménagé ? s'étonne-t-elle. Je ne savais pas.
— Kensington, admet-je. Ma mère a rencontré quelqu'un.
Je sais qu'elle tique à mon aveu mais elle garde un visage imperturbable et continue de regarder notre échange de cartes. Récupérant celles qu'elles gagnent et me laissant les autres.
— Tu ne l'aimes pas beaucoup, déduit-elle.
— Ça va, éludé-je. Je ne l'ai pas beaucoup côtoyé.
— Il n'est pas souvent là ?
— Non. Et moi non plus.
Elle se tait pendant un moment, laissant le silence apaiser les soubresauts dans ma poitrine. Quel que soit le sujet sur lequel elle va tenter de m'amener, tout mènera à lui. Et mon ventre se tord de douleur. Parce que je lui en veux. Je le déteste. Si je me retrouve sur ce siège, devant Edna Flanagan c'est de sa faute.
— Tu as dû passer tes examens et valider ta dernière année depuis. Parle-moi de l'Université.
— Vous savez très bien que je ne suis pas à l'Université.
Ses yeux se plongent furtivement dans les miens avant de se détourner pour reporter son attention sur ses cartes.
— Non, Riley. Je ne sais rien, justement. Tu es là pour me parler, m'apprendre les choses de ta vie que personne ne sait. Ce qu'il se passe en public, ça ne m'intéresse pas.
— Pourtant, c'est pour ça que je suis ici.
Je récupère le verre d'eau et en bois une gorgée.
— Pour quelle raison tu es là, Riley ?
Lorsque je repose le verre, ma main plonge dans la poche de mon sweat et en sort un morceau de papier déchiré. Je le laisse retomber sur la table. Elle n'y prête pas attention tout de suite, continuant de me fixer droit dans les yeux comme si elle attendait mon feu vert. Je n'ai pas besoin de regarder ce qu'il y a écrit. L'énorme titre continue de me narguer dans la périphérie de ma vision et ça me retourne l'estomac. J'ai envie de vomir. D'éclater le vase dans lequel des fleurs séchées sont entreposées juste derrière le docteur. De balancer une de ses chaises en bois massif au travers de la fenêtre. D'arracher son papier peint, de déchirer les pages de ses livres. De tout casser, pour faire cesser mon coeur de battre. Edna attrape la feuille de magazine et la survole.
« Idylle chez les Black Blossom, ce groupe de beaux gosses qui fait fureur chez les jeunes adolescent(e)s. »
— Et si tu me racontais avec tes propres mots ce qu'il s'est passé, Riley.
— Il va me falloir plus qu'une heure. Je sais très bien que je suis un patient parmi d'autres. Votre planning doit être chargé docteur, et si nous arrêtions là ?
— Ne te préoccupes pas des autres.
Je pousse un long soupir, collant mon genou contre ma poitrine tout en le retenant à l'aide de mes bras. Je ne prête pas attention au talon de ma Converse sur le fauteuil. Elle ne dit rien non plus. Alors je me mets à parler. Je lui déballe tout.
Sans omettre un seul détail.
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BLACK BLOSSOM (édité aux Editions Addictives)
DragosteColocs, partenaires de musique... et bien plus encore. Harper Tate est en dernière année à l'institut Evergreen et n'a qu'un seul rêve : que son groupe de musique, les Black Blossom, perce enfin ! C'est avec cet espoir fou que les musiciens s'inscr...