Chapitre 1

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4 ans plus tard

Mia

Sydney. Minuit. Je ne parviens pas à m'endormir. La climatisation de ma chambre est en panne depuis maintenant trois semaines. Mon propriétaire m'avait promis qu'il enverrait quelqu'un la réparer mais, malgré mes relances, le technicien ne s'est toujours pas manifesté. J'ai envie de me débarrasser de ma couverture mais je sais qu'à l'instant où je vais soulever un de ses pans, Annabelle va sauter de sous mon lit pour venir me bouffer toute crue. Je savais que je n'aurai jamais dû regarder ce film la veille mais Fiona a insisté sous prétexte qu'un des personnages principaux porte le même prénom que moi. Résultat, j'ai l'impression de sentir la présence de cette poupée démoniaque partout dans ma chambre.

J'ai déniché de ma cave un vieux ventilateur que je laisse tourner toute la nuit et j'ai ouvert ma fenêtre en grand pour laisser les faibles courants d'air s'engouffrer dans ma chambre minuscule du quartier de Kings Cross mais même avec ça, mon corps est en ébullition. En plus de ça, les pales du ventilateur qui battent rageusement l'air, les sirènes des ambulances et la musique tonitruante des bars environnants me maintiennent systématiquement éveillée, malgré mes boules Quiès. J'enrage. Je dois me lever dans exactement six heures et vingt-huit minutes pour aller travailler, je n'aurai donc pas atteint mes huit heures de sommeil, comme je m'efforce de le faire chaque nuit. Je le sais déjà, ma productivité au bureau va en prendre un coup. Je bois quelques gorgées d'eau de la bouteille que j'ai soigneusement posée la veille sur ma table de nuit et ferme les yeux pour tenter de me rendormir.

Je repense alors à la pile de dossiers qui m'attend sur mon bureau et que mon chef, Colin Spencer, m'avait demandé de traiter « asap ». Je travaille depuis maintenant six mois en tant qu'assistance juridique dans le cabinet d'avocats Spencer, situé dans le quartier des affaires de Sydney. J'ai décroché ce poste après l'obtention de mon diplôme de master en droit et, malgré les exigences de mon métier et ses tâches répétitives, j'en suis plutôt satisfaite. Je touche un salaire correct et ravis mon chef par l'exécution rapide et efficace de ses demandes. Serai-je aussi efficace demain, sachant que je dois me lever dans six heures et douze minutes et que je suis encore loin de trouver le sommeil ? J'angoisse... Je prends de profondes inspirations, comme Fiona, ma colocataire et fervente praticienne de yoga, m'a conseillé lorsque je sens mes crises de panique monter : inspire cinq secondes et expire cinq secondes.

Allez Mia, ouvre grand tes alvéoles ! 1... 2... 3...

Est-ce que j'ai éteins la plaque de cuisson au fait ?

Oui, tu l'as éteinte, tu l'as même astiquée trois fois après t'en être servie.

4... 5...

Et le four ?!

Tu l'as pas utilisé, bécasse !

Ah bah oui...

1... 2... 3... 4...

Mais Fiona si, non ?!

Je me pince les lèvres. Ma colocataire s'est fait réchauffer une quiche pour son dîner la veille et la connaissant, elle aurait très bien pu le laisser tourner. Je me redresse et cours à pas précipités (Annabelle oblige !) vers la cuisine. Le four est bien éteint. Je force sur le bouton du thermostat déjà réglé sur zéro, sait-on jamais, avant de regagner ma chambre. Je reviens presqu'aussitôt pour vérifier les plaques de cuisson, tant qu'à y être. Je me rallonge finalement dans mon lit et reprends ma respiration miracle. Mon corps crispé se détend un peu, mon cœur retrouve son rythme normal et je parviens enfin à m'endormir.

Je suis réveillée brutalement par le réveil de mon smartphone. Le corps lourd, je me redresse sur mon oreiller, place mes lunettes sur mon nez et me lève. La porte fermée de la chambre de ma colocataire m'indique qu'elle dort encore. Je me dirige vers la cuisine et me prépare mon petit déjeuner, puis file à la salle de bain pour me préparer. Sur le trajet jusqu'à mon bureau, j'en profite pour renvoyer un email à mon propriétaire pour lui demander expressément de faire réparer ma climatisation, sans quoi, je me sentirais obligée d'exiger une diminution de mon loyer. Depuis que je travaille dans le droit, les Residential Tenancies Act qui régissent la loi australienne sur les locations résidentielles n'ont plus de secret pour moi. J'ai même fait remarquer à mon propriétaire les vices cachés dans mon contrat de location et le lui ai fait réécrire au moins trois fois avant que je ne le signe et que je n'emménage dans mon appartement cinq ans plus tôt.

Lorsque j'arrive au cabinet Spencer, je fais le tour de l'open-space pour saluer chacun de mes collègues et mon chef avant de m'installer à mon bureau où la pile de documents m'attend patiemment. Je pose ensuite mon smartphone face à moi, prête à appuyer sur la touche « Démarrer » de mon chronomètre. J'avais calculé en moyenne combien de temps je passais sur chaque dossier afin d'en traiter cinquante. Je compte les dossiers en attente : trente. En y soustrayant la durée de la réunion avec les juristes qui doit avoir lieu entre 10 :00 et 11 :00 et la fatigue accumulée durant la nuit qui m'empêchera certainement de me donner à 100%, je les aurai tous passer en revue d'ici 15 :00. Je lance mon chronomètre et ouvre le premier dossier. Je dois relire, corriger, scanner et mettre en page les actes en vue d'une audience ou vérifier tout contrat, bail et procès-verbal avant de les transmettre à nos clients.

15 :00 sonne. Parfait ! Je viens de finir d'écrire l'adresse sur la dernière enveloppe contenant un formulaire de procédure. Je vérifie une dernière fois que toutes les adresses que j'ai soigneusement écrites sur les dizaines d'enveloppes, correspondent aux données de mon fichier Excel, puis envoie un email à mon chef pour l'informer de l'accomplissement de ma tâche. À 17 :30, je quitte les locaux de Spencer et me dirige vers la bouche de métro. Aujourd'hui, c'est vendredi. Demain soir, je joue pour la soirée dansante de la maison de retraite « Golden Age », située dans la banlieue de Bellevue Hill. J'ai planifié de m'entrainer en rentrant du travail et durant toute la journée de samedi. J'avais promis à Fiona que je me joindrais en discothèque avec elle ce soir pour fêter son anniversaire mais j'ai bien l'intention de me servir de mon récital comme excuse pour ne pas m'y rendre. Sauf que lorsque je pénètre dans mon appartement, mon amie est déjà là et me saute dessus.

-Ça y est, t'es rentrée, on va pouvoir commencer à se préparer !

-Euh, oui... d'ailleurs, par rapport à ce soir...

-Ah non, pas d'excuse cette fois ! Je fête mes 23 ans, t'as intérêt à être là !

Fiona et moi partageons notre appartement de soixante-dix mètres carrés situé dans une vieille résidence au centre de Sydney depuis deux ans maintenant. Elle avait répondu à mon annonce de colocation, alors qu'elle fuyait une relation toxique. Malgré nos tempéraments différents, je me suis fait une raison. Je ne trouverai jamais de colocataire aussi compréhensive qu'elle. Mon premier colocataire avait quitté subitement mon appartement, m'accusant d'être trop « maniaque » et « rigide ». Je lui avais en effet demandé à plusieurs reprises de nettoyer derrière lui après avoir utilisé la cuisine, ce qui semblait pourtant bien normal lorsqu'on vit en communauté. Mais lorsque j'avais exigé de lui qu'il place les couverts dans le lave-vaisselle et dans leurs paniers dédiés, il s'était emporté et m'avait annoncé qu'il déménagerait. Je n'allais pourtant pas m'excuser de vouloir gagner en efficacité. Le panier à couverts dispose d'un compartiment pour les couteaux, un pour les cuillères et un pour les fourchettes. Ce n'était quand même pas compliqué de les trier avant de les y déposer et cela permettait de les ranger directement dans leurs tiroirs respectifs une fois propres et gagner un temps précieux. Fiona travaille dans une boutique de produits bio dans le centre de Sydney. Elle est certes un peu trop extravertie à mon goût, sort beaucoup et ramène régulièrement des gens louches à l'appartement, mais elle respecte les règles d'hygiène que je lui incombe et sans broncher. Et après deux ans de cohabitation, nous avons fini par très bien nous entendre et sommes même devenues meilleures amies.

-J'ai acheté les billets il y a trois mois, je l'ai marqué dans le calendrier accroché au frigo et je te l'ai rappelé au moins dix fois ce mois-ci ! me sermonne-t-elle.

-Je dois jouer demain soir, il faut que je m'entraine, tenté-je.

-Je ne veux pas le savoir, tu t'entraineras demain. Il faut que tu souffles un peu et que tu vois du monde. En plus, ce soir, c'est la dernière représentation de Carl Eric.

-Carl qui ?

-Le DJ, bon sang, Mia, tu connais pas Carl Eric ? Il va vraiment falloir que j'élargisse ta culture musicale... Il est le DJ australien le plus connu au monde, il a mixé Love me, Tomorrow I'll be gone et Summer with you. Si je te fais écouter, tu vas tout de suite reconnaître !

-Fiona, je suis désolée mais je ne pense vraiment pas venir, insisté-je.

-Tu n'es pas obligée de rester longtemps, juste une heure, juste un verre, même ! S'il te plaît !

Je soupire de lassitude. Ma meilleure amie me regarde de ses yeux de chiens battus et une vague de culpabilité m'envahit.

-Ok, je viens...

-Yes ! Alors viens, je vais te prêter une de mes robes... Et du maquillage... Et de l'anticernes. T'as vraiment le teint blafard, t'as pas dormi cette nuit ou quoi ?!

Nos coeurs accordésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant