Chapitre 6

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Mia

Je passe en revue les notifications de ma page Facebook. Je compte maintenant cinquante participants à ma séance de piano au QVB. Je déteste me mettre en avant sur les réseaux sociaux mais la directrice marketing du centre commercial, Sonia Miller, insiste pour que je poste des photos de moi et des vidéos de mes performances pour « générer du trafic en point de vente ». Je crée donc un événement dès qu'elle fait appel à mes talents pour animer le hall du gigantesque centre. Très peu de gens assistent à ma prestation du début jusqu'à la fin. Les passants vont et viennent, me jetant des regards curieux ou s'arrêtent pour écouter mes chansons le temps de quelques minutes, mais sans plus. J'ai pour ordre de ne jouer que des chansons commerciales, ce dont je ne suis pas fan, mais peu importe, tant que je peux pratiquer de ma passion, je suis prête à faire ce qu'on attend de moi.

Après avoir averti Sonia de mon arrivée par message, je me rends au rez-de-chaussée du centre commercial où trône l'énorme piano à queue, au revêtement blanc et luisant. J'ouvre le pupitre, y dépose mes partitions, règle la hauteur du siège et m'assois. Je suis censée jouer pendant une heure trente et commence avec des partitions des chansons pop qui font apparemment fureur cette année. J'ai dû les écouter une par une pour m'en imprégner avant d'en imprimer les partitions trouvées sur internet. La majorité des morceaux ne contiennent que trois à cinq accords et sont donc faciles à rejouer. C'est d'ailleurs le propre des chansons commerciales : créer des mélodies simples, faciles à mémoriser et donc mieux diffusables pour être accessibles à tous et vendues au plus grand nombre. Moi, je suis de ces musiciens savants qui aiment la technique et la complexité derrière chaque enchainement musical. J'adore rejouer les plus grands classiques de Beethoven, Bach ou encore Mozart, faire courir mes deux mains d'un bout à l'autre du piano, comme eux l'ont fait avant moi, de manière précise mais également rapide. 18 :55. Il me reste encore cinq minutes, et comme je l'avais calculé, il est l'heure pour moi de clôturer avec Hometown d'Adèle. J'étire mes doigts engourdis avant de les replacer sur le clavier et commence les premières notes. J'entends alors une voix s'exclamer :

-Salut toi !

Je sursaute et joue trois fausses notes au passage. Quelques passants me lancent des coups d'œil indignés. Un jeune homme, portant des lunettes de soleil et une casquette, est accoudé sur le piano et me sourit d'un air radieux.

-Carl ? Qu'est-ce que tu fais là ?

-Je passais juste dans le coin et j'ai entendu un air de piano, et comme tu m'avais dit que tu jouais dans les centres commerciaux, je me suis dit que c'était peut-être toi !

-Oh, ok... Oui, je joue quelquefois ici le mercredi après le travail.

-C'était Adèle ?

-Oui, mais j'ai fini !

-Super, on va pouvoir aller boire un verre.

-Euh, je... Tu es sûr ?

-Toi, tu n'as pas l'air...

-Non, c'est juste que je crois que les gens commencent à te reconnaître.

Les passants commencent en effet à s'attrouper autour de nous, jetant des coups d'œil intrigués dans la direction du jeune homme, au visage dissimulé et entouré de deux hommes robustes en costume. Carl hausse les épaules.

-Je connais un endroit discret.

J'hésite une seconde puis, devant son sourire rassurant, je saisis finalement mes partitions, ferme le piano et le suis en direction du parking sous-terrain. Il m'invite à monter dans un SUV aux vitres teintées puis l'un de ses gardes du corps s'engouffre à l'avant et démarre.

Nos coeurs accordésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant