Chapitre 11

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La lune s’était levée, tout comme le soleil avait disparu de l’horizon. L’heure de la chasse était venue. Les loups participants s’étaient donc tous rejoint dans la forêt Selenia. Étant une sineulla, j’étais restée à la maison avec ceux qui préféraient rester en retrait. Principalement des mères, des personnes âgées qui ne pouvaient pas se permettre de suivre le rythme des plus vivaces. J’avais une tasse de thé à la camomille entre mes mains, alors que j’observais une partie des enfants qui courraient avec beaucoup d’enthousiasme. Je pouvais les entendre rire, jouer et imiter un hurlement. Ils devaient s’impatienter de réveiller leur gêne. Cela me rappelait un peu, quand j’attendais l’éveil du mien.

—Hey, souffla Mattie en venant se coller à mon flanc.
—Hey, répondis-je, en venant poser ma tête contre la sienne.
—Arrête de penser à ce genre de choses. Cela ne va rien changer.
—Je sais. Je suis juste un peu nostalgique…
—J’ai jamais aimé les gosses, marmonna le lycéen, en grimaçant.

Je lâchai un petit rire, nos regards fixant un petit groupe d’enfants. Ces derniers semblaient essayer d’imaginer une réplique de la chasse. L’un d’eux essayait d’imiter Karhon, distribuant les rôles pour que l’un d’entre eux fasse la proie. Une petite fille fut désignée comme telle, et ils se mirent à se courir après. Ils quittèrent la cuisine pour rejoindre la terrasse, afin d’avoir plus d’espace pour courir. Matthias lâcha un petit gémissement, me faisant revenir à lui.

—Qu’y a-t-il ?
—J’ai envie d’un partenaire aussi.
—Tu aurais pu participer à la chasse. Tu aurais juste chassé un autre type de gibier, me moquai-je, doucement.
—Et te laisser seule pour que tu te morfondes ? Altie m’aurait fait vivre l’enfer. Cette fille a un grain quand cela te concerne. À croire qu’elle soit lesbienne et que tu es son amour à sens unique.
—Je voudrais bien argumenter pour te contredire, mais étrangement, je ne trouve rien.
—Parce que tu penses que j’ai raison ? sourit le lycéen.
—Sur quoi ? Le fait qu’elle ait un grain ? Oui, elle a un grain, mais elle ne serait pas ma meilleure amie si elle n’en avait pas un. Pour le fait qu’elle soit lesbienne et que je sois son amour à sens unique… eurk. Ce n’est pas comme ça entre nous. On s’aime, mais ce ne sera jamais charnelle.

La relation que j’entretenais avec Althea était profonde, particulière et d’une manière qu’on ne pouvait définir dans ce bas-monde. C’était fort et puissant, presque comme un amour réciproque entre deux âmes-sœurs. Ce n’était pas seulement de l’amitié ou de la fraternité. C’était quelque chose qui ne se définissait pas. C’était spirituel, et mettre des mots dessus ne rimait à rien. C’était être des amies, des sœurs…

—Est-ce que je peux te poser une question ? Et ne me sors pas que je viens de t’en poser une, je suis sérieux.
—Elle me brûle les lèvres, mais vas-y pose ta question, me moquai-je.
—Tu t’es toujours comparée aux autres, mais jamais à Altie, pourquoi ?

C’était une très bonne question. Depuis notre première rencontre, je n’avais jamais essayé de me comparer à elle. Il y avait pourtant de quoi, nous étions différentes, mais c’était peut-être parce que nous étions si opposées. Althea était comme une part de moi, nous étions comme les deux faces d’une même pièce. Elle me comprenait, je la comprenais. Ils nous arrivaient de prendre des chemins différents, seulement, on finissait toujours par se retrouver pour emprunter la même route.

—Je ne sais pas trop… c’est difficile à expliquer. Peut-être qu’elle est trop éblouissante pour que j’ose me comparer à elle ? Ou bien parce que nos ténèbres sont semblables pour que je n’ai pas à le faire. Difficile à dire.
—Un truc de filles quoi, soupira le jeune brun.
—Je ne sais pas. Je sais juste qu’elle est ma meilleure amie, que je n’ai pas envie de la perdre. Que c’est un lien fort.
—Oui, c’est bon. J’ai pas besoin d’en savoir plus.

Matthias lâcha un soupir, en repoussant ma tête pour se redresser. Il devait encore avoir faim. L’un des mystères de la vie était le petit frère de Altie. Il ingurgitait une montagne de sucreries, mais il ne grossissait pas d’un gramme. Il y avait de quoi rendre jaloux beaucoup de filles. Il était aussi fin qu’un brin de paille.

—Est-ce que tout se passe bien pour toi, Elerys ?

Je sentis mon cœur faire un bond de plusieurs mettre, alors que mon corps sursautait de peur. J’avais été trop concentrée sur Matthias pour sentir l’approche discrète de la mère de Karhon. Je posais une main instinctive sur mon cœur, comme pour l’inciter à se calmer. Mon souffle était devenu plus lourd, cherchant à prendre de longues inspirations. Je vis une lueur de panique dans ses yeux. Je lui offris un léger sourire pour la rassurer, bien que je ne fusse pas sûre d’être très convaincante.

—Je suis désolée. Je ne voulais pas te faire peur.
—Ce n’est rien. J’aurais dû faire plus attention, madame…
—Je t’arrête tout de suite. Lucile. Je n’accepte pas être appelée autrement, encore plus par toi.
—D’accord…
—Bien…

Elle resta m’observer, et je sentis qu’elle voulait certainement me dire plus. Je m’approchais doucement, signe que j’étais prête à écouter tout ce qu’elle avait à me dire, sans prendre la fuite. Elle m’invita donc à rejoindre le jardin. On marcha un peu, rejoignant un coin plutôt discret. Il y avait des parterres de fleurs, qui offraient une jolie vue sous les rayons de la lune. Une fontaine s’élevait au milieu d’un bassin, et l’eau clair et scintillante jaillissait dans une belle courbure en forme d’arche aquatique. Le bassin était très peu profond, permettant d’y tremper les pieds. Lucille retira ses chaussures et remonta son pantalon pour le faire.

—C’est un bel endroit, n’est-ce pas ? me sourit-elle, en m’invitant à la rejoindre.

Je hochais de la tête, avant de faire la même chose qu’elle, et de la rejoindre. L’eau était froide, et je pouvais sentir des galets lisses sous mes pieds. Un sourire s’épanouit sur mes lèvres, alors que j’observais mes pieds submergés. Une étrange pulsion infantile me prit, et je commençais à agiter un peu mes pieds pour créer des vagues et éclabousser le vide. Je me sentais retomber en enfance, avant que la fatalité ne frappe à ma porte. Je relevais les yeux sur Lucile, qui avait un large sourire. Elle s’approcha de moi, et vint même me prendre dans ses bras. Une étrange chaleur se diffusa en moi. Je me sentais quand même un peu gênée.

—Lucile ? l’appelai-je, un peu confuse.
—Prends ton temps. Nous attendrons que tu sois prête, me souffla-t-elle.

Je sentis un serrement dans mon cœur. Je lui tapotais le bras, en signe d’embarras. Je me reculais d’un pas ou deux. J’étais encore loin d’être prête pour assumer pleinement les responsabilités qui allaient avec ma relation avec Karhon. Ce que nous avions, cette chose légère, ce flirt entre nous, me suffisait. Tout pouvait finir par s’essouffler, quelqu’un d’autre pouvait prendre ma place. Mes prunelles trouvèrent celles de Lucille, et elle m’offrit un triste sourire. Elle effleura mon épaule dans une caresse d’encouragement.

—Je vais rentrer en première.

Elle me laissa seule, et je m’en voulais. Je m’en voulais de l’avoir déçue. Lucile était prête à m’accepter, je le sentais, mais je n’arriverais jamais à la hauteur de ses espérances. Elle avait été une Luna si forte, si vaillante, si exemplaire. Et moi… j’étais loin d’être forte ou vaillante. Je n’arrivais même pas à effectuer une simple métamorphose. Quelques larmes bordèrent mes yeux à l’idée de décevoir tous ceux qui faisaient l’effort de m’accepter aux côtés de Karhon. Léona, Lucile… elles étaient si gentilles et patientes avec moi. Ce qui m’effrayait le plus… c’était que je déçoive Karhon lui-même. Je ne voulais pas détruire ses espérances. Il m’était si cher, et j’avais peur. M’attacher si vite, si fort… l’aimer au point de ne pouvoir plus respirer. C’était si terrifiant, parce que je n’étais vraiment pas sûre de pouvoir survivre si cela finissait mal.

Ô Lunael, chère déesse, que dois-je faire ? soufflai-je, en relevant mon regard sur la pleine lune.

C’était une plainte qui resterait sans réponse. Les desseins de notre chère lune resteraient énigmatiques et mystérieux. Le disque d’argent n’allait pas me répondre. Je laissais donc le silence me répondre. Je finis par me détourner de l’astre brillant et majestueux, mais aussi d’une froideur extrême. Un frisson me parcourut alors que mes poils se dressaient sur ma nuque. Sous ce clair de lune, alors que le vent nocturne commençait à me glacer jusqu’à l’os, que la symphonie des hurlements signalait la fin de la chasse, mon cœur s’arrêta de battre…

Half Moon Pack - 1. L'éveil d'une OmégaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant