J'avais couru tout le long du chemin qui menait jusqu'à ce qui fut autrefois Quartier El Baraka. Bientôt, la nature laissa place à un décor de désolation, et je sus que j'avais atteint ma destination. Je ralentis ma course, le pas lourd et le cœur gros.
Plus j'avançais, plus mon cœur se serrait. Ma gorge se noua d'un étrange sentiment qui m'était lourdement familier.
Ce n'était pas la première fois que je viens ici, j'y viens souvent même, presque tous les deux jours et j'y venais bien avant sa destruction.
Et c'était ça le problème. J'y venais lorsque la terre était encore verte d'herbe et de plante, que les bâtiments se dressaient le long des rues animées de monde. Mon regard se porte sur le tas de décombres, sur la terre recouverte par les débris, noircit par la suie, brûlé par les bombes.
J'avais la sensation troublante que si je ferme les yeux, ne serait ce qu'un instant tout redeviendrai comme avant que je reverrai les maisons, la vielle école primaire, le jardin public, que je pourrais à nouveau entendre les rires des enfants, le bruit de la circulation, des marchands vantant leurs produits.
Je finis par atteindre la cabane de fortune, juchée en haut des décombres de ce qui semblait avoir été un immeuble. Faite de taule et de plastique collecté, je n'avais pas pris longtemps pour la construire, c'est notre lieu de rendez-vous avec ma petite sœur, lorsque les journées se font longues et éprouvantes ça fait toujours du bien de s'isoler et quoi de mieux que de s'isoler à deux.
Je grimpe sur le tas de décombres et écarte le haillon à l'entrée de la cabane, je ne fais pas un pas qu'un petit corps me saute dessus. Je baisse mes yeux sus ma petite sœur qui m'entourait le ventre de ses bras frêles. Elle a l'air excitée, pour je ne sais quelle raison. J'eus inconsciemment le besoin de relever le regard, mes yeux s'accrochèrent à des billes d'un vert éclatant, je me fige.
Face à moi, se tient une petite rousse d'à peu près l'âge de Nidal, des yeux verts, la peau d'une blancheur impressionnante. Elle était assise par terre, ses yeux me fixent avec peur et intrigue.
Ma main gauche se pose instinctivement sur le dos de ma sœur et doucement, je sors mon couteau à l'aide de mon autre main, je le mets légèrement derrière moi. Le regard de la fille se porte sur mon arme elle se fige, paralysé par la peur, elle est si pâle que j'ai l'impression qu'elle va s'évanouir, de ses mains fines elle serre le tissu de son t-shirt bleu si fort que je vois ses phalanges blanchir. Je sens que ce que je m'apprête à découvrir ne va pas me plaire. Nidal, qui ne s'était rendu compte de rien, releva la tête vers moi et me dit joyeusement :
- Tu as vu Ibrahim, j'ai une nouvelle amie, elle s'appelle Yaël, elle vient de loin et elle a nulle part où aller, elle peut rester ? Dit ? S'il te plaît !
- Yaël, répétai-je.
Ça n'a rien d'un prénom arabe.
- Oui ! Et elle vient de loin.
- D'où exactement ? Ma voix se fit aussi dure que le regard que je porte sur cette fille, je suis sûr qu'elle est l'une d'entre eux, mais je veux l'entendre le dire, ainsi, je pourrais faire mon travail avec bonne conscience.
Nidal se tourna vers elle, un sourire joyeux aux lèvres attendant qu'elle me réponde, ne se doutant pas de l'ampleur de la situation, et je suis certain, malgré sa peur et sa méfiance, que la petite rousse non plus.
- De Birshalom, me dit-elle sans se rendre compte du danger que cette révélation lui fasse courir.
Je note aussi qu'elle parle en arabe, c'est plutôt impressionnant pour une petite fille de son âge. Nidal se retourne vers moi un sourire jusqu'aux oreilles.