Première partie

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En de temps immémoriaux, les seigneurs maléfiques rôdaient encore sur la terre. Ils répandaient le mal, terrorisaient les sujets des bons rois et enlevaient aux peuples leurs princesses bien-aimées. Mais il y avait toujours de preux chevaliers et des princes charmants pour les secourir, et comme tout cela était chose commune, les mariages étaient arrangés de cette manière.

Sur le royaume de l'Argilière régnait la famille des Golden Noble. Le prince se prénommait Jean Ferdinand Alexandre de la Roche d'Or, mais par commodité tout le monde l'appelait le Grand Alexandre. Il était jeune et vigoureux, et tout le destinait à devenir un excellent souverain. Alors, à l'instar de tous les autres princes, il attendait avec impatience de devenir adulte afin de partir à l'aventure et de se marier. Quand ce jour arriva enfin, il embrassa ses parents aux yeux brillants de fierté et débuta sa quête, n'emportant rien d'autre que son épée et sa tunique, qu'il espérait ne pas salir.

Il marcha le reste de la journée, se fit transporter par une carriole de paysans qui le déposa en cours de route et atteint un petit village frontalier aux confins du royaume à la fin de la journée. Le soleil était presque couché ; c'était l'heure où les ombres se confondaient et les démons sortaient. Le jeune prince, à la recherche d'une auberge où dormir, entendit un cri. Il se précipita dans les ruelles pour trouver un spectacle révoltant : trois bandits menaçaient un jeune homme chétif ; sans doute en avaient-ils après ses écus. Alexandre se jeta sur le premier malfrat, l'envoyant au sol. Les deux autres se retournèrent, poignards en main. Le chevalier, vif comme l'hirondelle, décocha son poing et ébrécha deux dents au plus proche, qui s'enfuit. Le troisième fit tournoyer sa courte lame et lança son bras en avant, visant la gorge de l'héritier. Celui-ci esquiva le coup et ceux qui suivirent, attendant une faille dans la défense de son adversaire. Au bon moment il feinta et, saisissant sa chance, asséna un violent coup de pied dans le ventre de l'autre, qui s'effondra, essoufflé. Alexandre ne dégaina son épée que maintenant et la leva, le visage dur. Le bandit leva la main, implorant :

Sire, ayez pitié ! Il m'est évident que vous êtes le plus fort : vous ne tirerez nulle gloire de mon exécution.

Un preux chevalier ne frappe jamais un adversaire à terre, mécréant, répliqua-t-il d'une voix d'acier. Rentre chez toi, et abandonne le chemin du Mal. Fais-toi vicaire, et le restant de tes jours travaille à faire de toi un homme meilleur. Ainsi ton honneur sera lavé.

Il trancha de la pointe de sa lame le médaillon qui pendait au cou du misérable. Une babiole aux couleurs des seigneurs maléfiques offerte aux âmes cupides en échange de leur servitude. Il le fourra dans sa poche. Le pillard remercia le prince de sa clémence et déguerpit. Son camarade au sol devait avoir rampé ; il n'était plus visible. Le Grand Alexandre se tourna vers le jeune homme, qui s'inclina devant lui dans une fontaine de remerciements. Après s'être vu ordonné de se relever, il guida le Grand Alexandre dans l'auberge du village, tenue par son père. Il fit la louange du héros et tous les clients l'acclamèrent. Ils se firent tous deux offrir à boire et à manger.

Se trouvant à table avec lui, l'héritier eut l'occasion de faire plus ample connaissance du jeune homme. Il se nommait Alkmène, et son visage témoignait d'une candeur qui plut instantanément à son interlocuteur. Il appartenait à une famille très éduquée, sa mère était fondatrice de la bibliothèque du village. Lui-même avait quelques années d'expérience en maraîchage-théologie, et sa conversation s'avéra très édifiante. Il était plus jeune que le chevalier – les paysans obtenaient leur majorité plus tôt que les membres de la famille royale – et commençait à lui plaire. Celui-ci décida donc de lui faire une offre. Il avait besoin d'un écuyer pour l'accompagner dans sa quête à venir, et Alkmène semblait être un candidat idéal. Sympathique et plaisant, il disposait également de connaissances qui seraient utiles à leur aventure. Comblé d'honneur, le garçon accepta, et ils partirent tous deux se coucher dans une chambre de l'auberge.

Le lendemain matin, Alexandre s'extirpa de son confortable sommeil aux premières lueurs de l'aube, et trouva le maraîcher-théologien déjà debout, ses affaires préparées. Une fois les formalités réglées et les parents du jeune homme salués, le duo sortit de la bâtisse et tomba nez à nez avec deux chevaux. Le brigand de la veille les attendait.

Sire, toute la nuit durant vos paroles m'ont tenu éveillé. J'ai renoncé à travailler pour le seigneur maléfique Pyrus Communis. Votre force ne saurait être égalée, mais vous aurez besoin d'aide si vous cherchez à le vaincre. Voici donc mes chevaux : ils sont à vous. Les ayant volés, il m'est insupportable de les garder plus longtemps. Bonne chance.

Il s'en fut sans même attendre de réponse. Alkmène s'exclama :

Fichtre, vos paroles ont su porter leurs fruits ! Comment un homme peut-il changer de vie si brusquement pour si peu ?

Voilà ce que cela veut dire d'être un héros, garçon. J'ai juré d'annihiler le mal partout où je passerai.

L'écuyer acquiesça avec une admiration sceptique. Il demeura ensuite pensif durant tout le début du trajet. Alexandre finit par rompre le silence afin d'en savoir plus sur ce seigneur maléfique.

Pyrus ? C'est lui qui a récemment conquis le royaume voisin, le domaine forestier de Court-Pendu. Il gagne en puissance, son armée se fait plus grande de jour en jour, et je pense qu'il n'est pas étranger aux incidents de plus en plus nombreux au village. J'espère qu'il n'arrivera rien à mes parents.

Il prit un air inquiet. Compatissant, le jeune prince le réconforta. L'armée des Golden Noble s'assurerait que rien de grave ne se passe.

Saurais-tu me dire, mon bon Alkmène, si ce Pyrus Communis aurait capturé une princesse ?

Oh oui ! Il y a de cela deux semaines, ses sbires lui ont ramené la Belle de Boskoop !

La princesse Diane ?!

Surnommée ainsi à cause de sa beauté jusqu'alors inégalée, Diane était l'héritière d'un royaume voisin allié au sien. Alexandre l'avait rencontrée une fois dans son adolescence. S'il avait su qu'elle serait un jour sa fiancée en devenir... Il sortit de sa poche le médaillon de la veille. Un symbole impie figurait au-dessus des armes du seigneur sculptées dans un fer rouge. Le poing du prince se referma sur la babiole. Il avait trouvé son pire ennemi.

Sa voie était désormais toute tracée : il allait réaliser une série d'exploits afin que Pyrus connaisse son nom, puis il irait le pourfendre, épouserait la princesse Diane avec qui il vivrait heureux et aurait beaucoup d'enfants.

Alkmène, à côté de lui, semblait avoir lu dans ses pensées.


La fin heureuse d'un héros et son écuyer [SECOND JET]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant