Quatrième partie

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La chaise devant lui était renversée, et il tenait dans sa main un calice serti de rubis. Sa cape épousait gracieusement la forme de ses épaules.

- Mon jeune ami ! s'écria le prince charmant, débordant de joie et de soulagement. Je t'ai enfin retrouvé !

Le maraîcher-théologien lui sourit calmement.

- Bonjour Alexandre.

Sa voix était posée. Il sirota une gorgée de vin, et son interlocuteur remarqua que sa main tremblait et que des rides discrètes se creusaient sur son front. Son visage pur était troublé par la concentration. Le chevalier s'arrêta dans son élan.

- Quelque chose te préoccupe. Tes ravisseurs ne t'ont pas fait trop de mal ?

- Oui, je suis préoccupé.

Il se leva.

- Vois-tu, bien que tout ait été très court, notre voyage ensemble m'a beaucoup plu. J'ai enfin pu goûter à l'aventure de conte de fées dont tout le monde rêve ; et je crois bien que je commence à t'apprécier.

Le Grand Alexandre aurait dû être touché par cette déclaration. Il s'en inquiéta, et attendit la suite.

- Tu n'es pas n'importe qui, Alexandre. Tu es un vrai héros – peut-être devrais-je même dire le héros. Et je sais que rien ne t'arrêtera. Quoi que tu entreprennes, tu en seras vainqueur.

Il y avait une tristesse émouvante dans ses yeux, mais sa voix se teintait d'espoir.

- Alors, je te pose la question : que désires-tu vraiment ?

Le héros fut pris au dépourvu. Il ne voyait pas où son ami voulait en venir. Devant sa confusion, celui-ci explicita :

- Tu dis vouloir accomplir ton destin, sauver Ariane et vaincre Pyrus. Mais est-ce vraiment ce que ton cœur te dicte ? Supporterais-tu réellement de finir ton aventure si vite pour retourner à la vie de château ?

Un masque de doute se peint sur le visage du jeune prince.

- Je t'accompagnerais. Nous pourrions continuer notre aventure, ensemble, faire le bien partout où l'on irait, comme tu en rêves...

Le chevalier considéra sa vie. Certes, son confort matériel l'attendait ; il n'avait qu'à le saisir et il aurait une femme, des enfants, un royaume... Après tout, n'était-ce pas cela, son rêve ? Il s'assit à la table de l'écuyer sous ses yeux patients. Il songea aux ébats politiques entre royaumes. À l'ennui des journées d'audience des habitants. Au devoir de juge du souverain. Il avait certes un confort matériel au château, et il n'y avait de plus grand prestige que d'être roi. Mais cela en valait-il la peine ? Il aurait sans doute le bonheur. Les premières années, il se sentirait accompli. Toute sa vie il s'était préparé à monter sur le trône, et une fois sa place prise, seul son fils pourrait l'en déloger. D'ici là, il deviendrait un vieil homme bedonnant, de plus en plus las des journées mornes se répétant à l'infini. Mais surtout... Il n'aurait plus son écuyer. Bien sûr, il pourrait l'ennoblir, mais rien ne serait jamais pareil. Le sentiment de liberté, leur unité face aux dangers qu'ils avaient affrontés, leurs discussions à la lumière d'un feu de bois ou leurs plaisanteries dans les auberges, le corps et l'esprit réchauffés par la bière ; tout cela serait laissé à pourrir dans leur mémoire.

Pour la première fois de sa vie, il avait un choix. Accomplir sa destinée, ou bien partir mener lui-même sa vie, accompagné de son plus cher ami ? La prédétermination s'imposait dorénavant comme un poids accablant. Peut-être Alkmène avait-il raison. Peut-être son rêve d'accomplissement de son destin n'avait-il pas vocation à continuer. Il se rendit compte que ce n'était même pas vraiment son rêve à lui.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 22 ⏰

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La fin heureuse d'un héros et son écuyer [SECOND JET]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant