Depuis dix jours, notre peloton s'enlisait dans une ineffable oisiveté. Avachie sur une des tables de la salle commune, la joue plaquée contre le bois cuisant, mon œil torve suivait sans la voir la petite balle blanche qui faisait des aller-retours incessants entre Breda et Fuery. Mes collègues, tout comme moi – et comme l'intégralité de la caserne – avaient laissé leur veste étouffante au vestiaire. Le premier se pavanait en débardeur – j'avais d'ailleurs revu mon opinion sur l'aspect séduisant du vêtement ; tandis que le second ne se départait pas de son éternelle chemise blanche, malgré la fournaise extérieure.
Pour la première fois depuis sa constitution, l'équipe du colonel Roy Mustang était désœuvrée. Toutes les enquêtes sur lesquelles nous avions été affectés avaient été résolues, classées, archivées, sans que d'autres ne les remplacent. Nous avions eu du mal à croire à cette situation inédite et avions vérifié auprès des Renseignements qu'il ne s'agissait pas d'un oubli de leur part. Surpris par notre requête, ils nous avaient confirmé qu'en effet, faute de criminel, aucune affaire ne nous était attribuée.
Le colonel, de son côté, multipliait les aller-retours entre East City et Central. Il avait laissé entendre que ses innombrables réunions concernaient Scar, bien que l'Ishbal n'avait plus donné signe de vie depuis deux mois. Le lieutenant Hawkeye nous aurait peut-être trouvé quelques menues tâches à accomplir, mais elle séjournait actuellement dans sa famille à la campagne pour des vacances bien méritées. Sans chef pour nous orchestrer, nous nous contentions de remettre de l'ordre dans le bureau – qui ne le nécessitait d'ailleurs pas vraiment, et d'organiser des patrouilles à tour de rôle.
— Commandant ! Vous nous rejoignez ?
Je me redressai au ralenti. Jean brandissait bien haut un jeu de cartes. Falman, à table avec lui, ajouta un : « S'il vous plaît, on a besoin d'un troisième joueur. » Je grognai.
— Désolée, Havoc. Trop chaud pour réfléchir.
Je retournai à ma torpeur. Derrière moi, j'entendais distraitement les garçons lancer des paris sur l'issue du match. Breda va gagner... encore, me dis-je intérieurement. Il n'avait pas raté une occasion de nous rappeler qu'il avait été plusieurs fois champion régional de tennis de table, et force était de constater qu'il n'avait pas volé sa réputation. Il était tout bonnement imbattable, et avait humilié la totalité des militaires d'East City. Au sein de notre peloton, Fuery était le seul qui arrivait à placer quelques points, aussi était-il le souffre-douleur de Breda lorsque ce dernier avait envie de tâter de la raquette.
Une odeur de tabac froid me chatouilla les narines. J'entrouvris mollement les paupières. Jean s'était rapproché du match et venait de s'adosser contre la table où j'étais à demi allongée. J'avais une vue imprenable sur son postérieur. Je fermai les yeux, embarrassée.
Après le vol de mon vélo, il avait continué à me proposer ses services de chauffeur, prétextant que mon appartement se trouvait sur la route de la caserne. Chaque trajet se révélait l'occasion d'échanger sur le travail, ou de nous confier sur des choses plus personnelles. Nos vies avant l'armée faisaient partie des sujets récurrents. J'appris que les parents de Jean tenaient un magasin alimentaire à la campagne où il avait travaillé dès qu'il avait été capable de tenir un balai sans le faire tomber. Plusieurs fois il me parla de ses deux petites sœurs, Alice et Cléa, qui se languissaient de lui et le tannaient pour qu'il rentre au domicile familial. Jean donnait l'impression d'avoir grandi dans une bulle d'amour et de bienveillance. Il rayonnait à chaque évocation de ses souvenirs. Parfois je lui parlais de ma propre enfance, heureuse elle aussi, mais ces plongées dans un passé révolu me laissaient un goût doux-amer.
Dans la sphère privée, Jean avait remplacé Havoc et le « vous » avait cédé sa place au « tu ». Les choses étaient différentes au QG. Nous continuions de nous donner du « commandant » et du « sous-lieutenant » en public. Nous ne nous cachions pas vraiment d'être devenus plus proches, mais gardions en façade la relation entre un officier et son supérieur hiérarchique.
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The Wind Alchemist | Fullmetal Alchemist
Fiksi PenggemarÀ sa connaissance, Estelle Oncia est la seule à manier l'alchimie des vents en Amestris. Mais alors à qui appartient le carnet de notes alchimiques caché dans le grenier familial ? À la recherche de son mentor spirituel, elle intègre l'armée en tant...