Chapitre 3 : Nouveaux liens

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Hiver 1998.

***

    Nous revoilà enfin de retour à Bigfork. Sans papa cette fois-ci mais avec maman que je regarde, comme toujours, assise devant, dans la voiture de l'homme venu nous chercher.

    Légèrement plus sombre de peau que nous, le crâne chauve lui aussi et assez musclé, je l'écoute parler depuis tout à l'heure de son travail. De ce que j'ai compris, parce que je ne comprends pas tout, il est ce qu'on appelle un bûcheron. J'ai demandé qu'est-ce qu'était un bûcheron et apparemment c'est celui qui coupe les arbres pour faire, ensuite, des jouets en bois. Je n'étais pas vraiment d'accord pour voir les forêts disparaître comme ça mais maman m'a convaincu en disant qu'on passerait à l'atelier de fabrication plus tard. Ce qui m'a fait sourire.

    Mais à présent, il parle de leur fils. De ce que j'ai compris, il s'appelle Leo Forrest, ce qui est drôle pour quelqu'un dont le papa est bûcheron. Et Leo semble très gentil mais pas du tout bon à l'école. Il a commencé cette année, comme moi, mais il ne sait toujours pas lire ou compter. Maman dit que c'est normal, que parfois les autres enfants avancent plus doucement et qu'il ne faut pas les presser et elle me dit aussi que j'ai de la chance de toujours tout réussir. Mais je ne comprends pas en quoi c'est de la chance... J'aime lire alors je le fais, c'est tout. Si Leo aimait lire peut-être qu'il le ferait aussi, c'est peut-être ça le problème. Il faudra que je lui demande quand on sera amis. Mais pour l'instant, je me concentre sur la route qui me semble quand même longue.

    —  Maman ? C'est quand qu'on arrive, je demande alors en la regardant avec attention.

    —   Je ne sais pas mon cœur, il y a beaucoup de neige qui tombent donc on doit rouler doucement.

    —  C'pas facile par c'temps, ajoute le monsieur. L'faut faire l'tour par l'autre côté donc ç'va prendre quinze m'nutes de plus.

    Depuis tout à l'heure, j'ai beaucoup de mal à comprendre ce qu'il raconte. Je vois bien qu'il parle la même langue que moi mais c'est comme s'il avait un gâteau dans la bouche et c'est vraiment fatiguant de se concentrer comme ça...

    —   Et maaaaman ? Pourquoi le monsieur il parle bizarrement ?

    Je l'entends alors rire un peu avant de la voir chuchoter un "désolée Franck" à notre bûcheron.

    —  Et bien tu vois certaines personnes ont ce qu'on appelle un accent. Selon d'où ils viennent et selon comment parlent les gens autour d'eux et bien ça donne ça. Tu sais comme ton copain Guo à l'école ?

    Je réfléchis alors et essaye de me souvenir de quoi elle parle et c'est vrai que Guo parle bizarrement parfois lui aussi.

    —  Et c'est normal ? j'insiste alors en ne comprenant pas cette différence.

    —   Oh oui ma chérie, complètement normal. Il y a des milliers de langues dans le monde, et des milliards de personnes différentes. Et c'est ce qui rend les choses belles.

    —   Mh, d'accord. Et moi je peux avoir un accent ?

    —  Tu pourrais mais ce n'est pas un jeu Alex tu sais, les gens naissent comme ça, où se construisent comme ça. Si tu n'as pas d'accent dès le départ, il ne faut pas te forcer.

    —   Pourquoi ?

    — Et bien... Comment je lui explique ça, soupire-t-elle vers le monsieur. Parce que ça ne se fait pas, on pourrait penser que tu te moques d'eux.

    — Mais je me moques de personne ! je m'énerve. Pourquoi je ne peux pas le faire ?

    — Pourquoi tu voudrais le faire ? elle finit par me demander.

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