Le Prince Cruel { Raconté par Cardan

Chapitre 9

Le moindre geste est douloureux. J'ai beau en avoir l'habitude, chaque mouvement déclenche un éclat de douleur qui remonte le long de ma colonne vertébrale, faisant de ma vie un enfer. Je tâche de cacher ma peine lors de la reprise des cours, rapidement couverte par un quelconque affreux sentiment de colère envers Jude. Et de méfiance. 

Ses yeux brillent. Et j'en ignore inéluctablement et irrémédiablement la raison. 

Je ne sais pas ce qui m'énerve le plus : que Locke joue avec Jude, ou que celui-ci lui plaise. Une partie de moi bien enfouie jouit de la savoir bientôt brisée, tandis que l'autre crie quelque chose d'indescriptible et tenace. Je ris intérieurement.  C'est sa description parfaite. Je ferme les yeux, désireux de ne plus penser à aucun plan diabolique, particulièrement celui de Locke. Au lieu de cela, ma dernière et étrange entrevue avec elle me revient, apparaissant brièvement et coupant mon fil incessant de pensées.

Je rengaine mon épée et accélère le pas, avec la hâte de finir les cours. Mon regard se pose alors sur Jude et sa sœur, l'air préoccupé. Comment ai-je fait pour les différencier ? L'une a du sang sur sa robe, tandis que l'autre, non. 

-Tu t'es blessée, on dirait.

Jude esquisse un rictus menaçant.

-Je pourrai te blesser, toi aussi.

Je ravale le soupçon de peur qui m'envahit ainsi que le comique de la situation qui me fait ensuite rire intérieurement. 

 -Jude ! s'écrie Taryn, stupéfaite. 

Elle commence vraiment à m'agacer. Elle est si lâche et faible... L'inverse de sa sœur. Je savais que Taryn ne dirait rien à Jude concernant Locke, celle-ci tient trop à sa position pour faire un pas de travers. 

-Oh, mais va-t'en, toi ! Laisse-nous respirer ! m'exclamé-je avant de me tourner vers Jude. Dois-je comprendre quelque chose en voyant cette lame dégoutante et tes manières qui le sont encore plus ?

Jude avale sa salive, cherchant quoi répondre. Etrangement, elle semble brièvement perdue.

-Tu crois que je ne le mérite pas, murmure-t-elle finalement, plus comme une constatation qu'une question.  

J'étire ma bouche en un grand sourire glacial, brûlant de colère de savoir instantanément de qui elle parle. Comme si quelqu'un la méritait. J'ignore la sensation amère dans ma bouche et rétorque d'un ton traînant :

-Oh, non, je crois que vous êtes parfait l'un pour l'autre. 

J'ouvre aussi brutalement les yeux que je les avais fermés. Heureusement qu'une fête est prévue ce soir, j'ai besoin d'oublier.

Je profite de l'instant, entièrement détendu tandis que deux filles profitent de moi autant que moi d'elles. Plus rien n'a d'importance, si ce n'est le plaisir que je ressens en ce moment même. Un bruit attire alors mon attention et je relève la tête, a moitié absent, ce qui me ramène là où je suis aussitôt, lorsque mon regard croise les yeux, scintillants, de Jude. 

Elle est là. 

Magnifique, dans une robe incroyable.

Je m'en fiche de savoir d'où vient sa tenue, mais si c'est elle appartient à Locke. Je ne retiens qu'une chose : elle est la plus belle créature. 

Et que je la fasse rougir la rend tout de suite mille fois plus outrageusement belle encore.