Chapitre 3

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Je rentre le soir. Il fait sombre et les branches ondoient au gré du vent. L'immense bâtisse qui me sert de demeure depuis qu'Elfred m'a rejeté, grince, et une fine lumière perce à travers la lucarne du bureau de Balekin. Cela veut dire qu'il est là.

Je pousse fermement le battant, fusille du regard le mortel qui me fixe depuis sa chaise. Ses yeux sont vides. Il n'y a que Balekin pour embaucher autant d'esclaves, humains de plus. Sa cruauté n'a pas de limites. Je suis le mieux placé pour dire ça, ayant subi ses excès de colère depuis l'ores de mes neuf ans. 

-Lève-toi, sert la table, marmonné-je au mortel qui s'exécute. 

Las, je m'effondre sur le sofa et appelle un autre esclave à ma solde.

-Toi. (Il fronce les sourcils devant mon ton inexpressif.) Pose-moi des questions sur ma journée.

Il croise les bras et roule des yeux. Je le vois réfléchir. Et penser. Comme moi. Peu commun des mortels peuvent penser, si ce n'est ces deux humaines... Taryn et Jude. Cependant je n'imagine pas autrement Jude qui est, selon moi, la plus attirante. Sans son étincelle de colère, preuve qu'elle bouillonne, rien ne lui serait fidèle. Mais à mon stade, où l'on est jusqu'à être rejeté par sa propre famille, le mieux est de se cacher, d'attendre, et de s'amuser modérément, comme l'aurait dit Balekin. 

Mais nos passe-temps sont différent. Plutôt que torturer des innocents, je vais à des fêtes où l'alcool est sans limite et le monde trop flou pour que je dépérisse facilement. 

-Monsieur a-t-il eu une bonne journée ? baragouine le mortel. 

-Correct, dis-je, toute ouïe.

J'ai une sensation bizarre dans le creux du ventre. Comme un triomphe teintée de rancœur.

-Monsieur a-t-il des amis ?

-Nicasia, Valerian et Locke. Je les dirige, asséné-je.

-Monsieur pense-t-il à une fille ?

-Non.

Ma réponse a beau être immédiate, l'image du corps chaud et modelé de Jude s'affiche dans mon esprit. Je secoue plus énergiquement la tête, une bouffée de colère contre moi-même s'élevant en moi lorsque je m'imagine, effleurant d'un main sa cuisse douce parcourue de frissons. Savourant son dégoût mêlé d'un désir immense... Je l'imagine à genoux, nue, devant moi, ses prunelles hypnotisantes emplies d'un désir sans fin, identique au mien... 

Je serre la mâchoire et gifle si fort le majordome qu'il bascule de sa chaise et émet un bruit sourd. 

Mais, impassible malgré le sang qui coule au niveau de son bras, il poursuit :

-Quel est...

-Stop. Va l'aider, sifflé-je d'un ton mordant. Va aider ton ami l'asticot. 

Inconscient de ma brutalité, celui-ci se lève et va aider l'humain qui valse entre les chaises. 

Ce n'est qu'une fois complétement soul, la voix rauque et l'esprit embrumé, que je reconnais.

-Jude. Oui, Jude. Je crois que je la déteste.

***

Je pénètre dans l'établissement. Je suis recouvert d'une fourrure or et bronze aperçut dans les armoires de Balekin. 

A mes côtés, Nicasia me souffle doucereusement à l'oreille :

-J'hésite à sauter les cours, Cardan, tu en penses quoi ?

-J'en pense que ce serait une très mauvais idée, ayant les deux mortelles au grappin. Pose-toi les bonnes questions, Nicasia.

Puis je la laisse en plan. Au loin la silhouette de Jude se dessine, et je rencontre son regard. Elle n'est que rage et... détermination. Elle trame quelque chose.

Je sais quoi à l'instant du déjeuner, où je déballe mon repas. Je le recrache presque en même temps que tous les autres. Il est salé. Beaucoup trop salé.

Jude me sourit. Ses cheveux brun sombre volètent autour d'elle comme des branches, et ses yeux noisettes s'assombrissent lorsque je croise son regard. La haine que je dégage est si perçante, que je sens Nicasia se tendre à mes côtés.

-Elle...

-Non, susurré-je. Pas maintenant. Le moment venu. 

Temps déjà passé, puisqu'elle nous a déclaré la guerre.

Le Prince Cruel { Raconté par CardanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant