Chapitre 8

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Je n'ai jamais aimé me battre, ou seulement tenir une arme de toutes les façons possibles. L'inverse de ce que veut Balekin. Il aime verser le sang, ressentir la souffrance de ses victimes avec une apathie désarmante, et souhaite plus que tout me faire réagir de la même manière que lui à cette violence ; sans succès. Me battre m'ennuie plus que tout, et la vue du sang me révulse. Rien que mon frère ne pourrait donc approuver.  

C'est cependant le lendemain matin qu'a lieu sa petite leçon habituelle et totalement inutile, ne se concluant qu'avec mon sang et de nouvelles blessures à chaque fois. 

-J'espère que tu t'es entraîné, marmonne Balekin en entrant dans le salon, sachant d'ors et déjà la réponse. 

J'esquisse une moue d'ennuie.

-Est-ce vraiment indispensable ?

-Montre-moi ce que tu as appris.

Il prend un bâton, qui fera office de cravache, l'air sûr et déterminé. 

-Tout ce que tu as à  faire, c'est frapper une fois. Juste une fois, petit frère.

Petit frère. Balekin ne m'appelle jamais comme ça, sauf lorsqu'il me supplie désespérément. Si je ne le fais pas, il sentira son propre ego de superbe mentor se briser sur la paillasse boueuse et sale de la pièce. 

Je ne bouge pas, ne faisant même pas mine d'esquisser un mouvement.

-Prends l'épée.  

Tiens, je ne pensais pas que sa patience aurait autant de limites aujourd'hui. Il avait plutôt l'air à cran cette semaine. 

Je cède, consentant à soulever l'épée. Elle est légère, mais dure. Les extrémités de la poignée m'érafle déjà les paumes des mains, et je réprime un soupire de lassitude et de frustration. 

Automatiquement, l'image de Jude debout et virevoltante lors du tournois me vient à l'esprit.

-Maintenant, attaque. 

Je fais mine d'attaquer, malmenant l'épée sans aucune technique. Balekin n'a rien d'autre à faire que de tendre son stupide bâton, venant me frapper violemment à la tempe.

-C'est ridicule, lâché-je en titubant. Pourquoi dont-on jouer à ce jeu idiot ? A moins que tu prennes du plaisir à me taper dessus ? C'est ça qui t'amuse ? 

-Le jeu d'escrime n'en est pas un.

-Alors pourquoi ça s'appelle "jeu" d'escrime ?

Cette fois il me frappe au ventre avec une force inouïe qui m'envoie promener au sol. La douleur ne disparaît pas tout de suite, resserrant le nœud de colère dans mon estomac.

-J'ai essayé de te faire progresser, mais tu persistes à vouloir gâcher tes talents en festoyant, en buvant au clair de lune, à perdre ton temps dans des rivalités inconsidérées et des histoires d'amour pathétiques...

Nicasia. Il fait allusion à Nicasia.

Je me relève et me jette sur Balekin de toutes mes forces, atteint par la manière dont il nous a décrit. Moi, stupide et perdant, elle, gagnante et fière. 

Mon frère clôt le combat en me frappant l'arrière des jambes, me ramenant une nouvelle fois ventre à terre. J'avale le sang qui s'est formé dans ma bouche, effondré et amère. 

Je le hais. Plus que tout être vivant. Plus que n'importe quoi. Il ne m'aime pas, et je ne l'ai jamais aimé. 

Je ne pense même pas qu'un membre de ma famille m'ait un jour un tant soit peu apprécié. Ou considéré. Pour eux, cela revient au même. 

Je tente de me relever, mais Balekin me maintient au sol. 

-Inutile de te relever... Dis-moi, quand vas-tu cesser de me décevoir ?

-Quand tu cesseras de prétendre que tu n'agis pas pour ton propre plaisir, rétorqué-je. Si tu veux me faire souffrir, ça nous ferait gagner beaucoup de temps à chacun si tu allait droit au...

-Père était âgé, et sa semence de piètre qualité lorsqu'il t'a conçu. Voilà pourquoi tu es faible. Aller, ôte ta chemise pour recevoir ton châtiment. 

Je m'exécute, tentant de dissimuler les tremblements infimes et incontrôlables qui s'emparent de tout mon corps. Il ne doit surtout pas voir qu'il m'effraie, qu'il pense qu'il éveille même une seule once de peur en moi. 

Tandis que les coups résonnent, Balekin débite son petit discours qui semble lui donner bonne conscience. Il sait qu'il l'est, un monstre, mais se persuade qu'il ne le serait jamais avec quelqu'un qui partage son propre sang. Ou peut-être que c'est moi qu'il essaie de persuader. Dans tous les cas, ses tentations sont vaines et  inutiles. 

-Ce n'est pas parce que je suis fâché contre toi que je te traite ainsi, mon frère, déclare-t-il d'un air solennel. Je le fais parce que je t'aime. Parce que j'aime notre famille. 

Je me redresse d'un bon, tend l'épée. L'idée d'embrocher l'humain qui lui sert de pantin et qui me serre aussi de bourreau m'effleure l'esprit, puis s'effrite. Tu n'es pas un meurtrier. 

-Vas-y, m'encourage Balekin, ne faisant que me conforter sur mes positions.

-Je ne suis pas un meurtrier.

Le regard de Balekin devient de glace, et il articule entre ses dents serrées.

-Dans ce cas, subis ta punition comme la créature digne de ce nom que tu es.

Il adresse un signe au serviteur humain qui sort de sa torpeur et brandit à nouveau la ceinture. 

Avant qu'elle se s'abatte de nouveau sur mon dos déjà strié de marques, je me fais une promesse.

Je ne sortirai plus jamais perdant.

Le Prince Cruel { Raconté par CardanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant