Le Prince Cruel { Raconté par Cardan

Chapitre 5

Je sais que jamais Jude ne laisserait tomber le tournoi : elle est trop fière pour ça. 

Le soir, Valerian organise une fête près de sa demeure et je m'y rends, impatient de me changer les idées. 

C'est lumineux. De dizaines de tables ont été installées, et les bouteilles de vin ne manquent pas. 

Des dizaines de Faes sont regroupées autour du banquet et l'une se jette même à mes pieds pour les embrasser, les yeux luisants. C'est dans ces instants que je me sens... vivant. 

Victorieux serait un meilleur mot pour décrire ma joie. L'asservissement d'autrui est une victoire à laquelle je goûte avec envie, et imagine mon plaisir si c'était Jude, qui s'inclinait devant moi. Fille impitoyable du chef militaire, s'inclinant devant le prince impitoyable. 

J'attrape une coupe de vin pleine faite d'or, et salue sardoniquement Locke qui passe devant moi, l'air préoccupé. Nicasia se jette aussitôt à son cou, et ma gorge se serre, tandis qu'une haine bouillante parcourt mes veines. 

Je remplie sans attendre une nouvelle coupe que je vide aussitôt cul-sec. Autant s'oublier le temps d'une soirée.

Plus tard, pendant qu'une fae tout à fait adorable s'amusait à me caresser les cheveux, Locke surgit, une expression déterminée plaquée sur le visage.

-Mon chez Locke... Tu m'avais manqué... 

-J'ai besoin de toi Cardan. 

-Houlà ! Serais-tu prêt à me supplier ? ricané-je en m'amusant entièrement de la scène. Après tout, tu m'as volé Nicasia. 

-Je ne... (Il pousse une soupire.) Cardan, je te supplie de m'aider. (Il marque une pause.) Et en échange tu reprendras Nicasia. 

La fille fae exprime son mécontentement en me griffant presque la joue d'une de ses caresses. 

-Très bien, acquiescé-je. Je te suis.

Je me lève et le suit à travers la fête, sous quelques regards surpris des invités. Locke s'arrête finalement sous une grand bosquet et m'agrippe le bras.

-Je vais rompre avec Nicasia, et épouser l'une des deux mortelles.

Sa tirade me laisse bouche bée. Etrangement, aucune de ses deux solutions ne me plaît. 

-Comment ça ?

-Nicasia n'est plus pour moi, Cardan, lâche Locke non sans dédain, et puis, il est temps de s'amuser un peu dans ce monde tu ne crois pas ? Jouer entre Jude et Taryn est un bon moyen pour se faire plaisir. C'est pour ça que j'ai besoin de toi.

-Tu as besoin de moi pour quoi, là ? soufflé-je, vaguement embrumé. 

-A laquelle des deux mortelles je serai le plus fidèle. Désignes-en une. Au hasard. Ou réfléchit. Comme tu voudras.

-Taryn, marmonné-je sans hésiter. 

La haine et le désir s'entremêlent en même temps dans mon esprit lorsque l'image de la Jude impitoyable que je connais m'apparaît. 

-Parfait, sourit Locke, sa joie miraculeusement recouvrée. Maintenant pour toi...

Il bondit sur l'immense table du banquet en renversant plusieurs mets de Domelfe, et met ses mains en porte-voix.

-Nicasia ! (L'intéressée fait volte-face, souriante et les joues roses.) Toi et moi, c'est fini.

Puis il revient vers moi, glacial. Derrière lui, Nicasia tombe à genoux, plus bouleversée que triste, et des larmes de rage coulent sur ses joues. Locke ne retourne même pas une seule fois pour lui adresser un regard et, pour la première depuis longtemps, je me demande lequel de nous deux est le plus monstrueux, ici. 

***

Le lendemain, après les entraînements de duel, je me dirige vers Taryn et la prends à part, profitant inopinément de l'absence de Jude.

-Toi... toi ? bafouille-t-elle, affolée.

-Je ne vais rien te faire, asséné-je, las. Ecoute-moi bien, c'est tout. 

Taryn se tait aussitôt.

-Locke joue avec Jude, mais pour lui, enfin par amour, tu te devras de ne rien révéler à ta sœur. 

Je retiens ma colère, la fixe froidement puis me redresse tandis qu'elle reste là, statufiée. 

Je la laisse pleurer un peu, mais lorsque je me retourne, une violente poigne me fait basculer contre le chêne derrière moi. Bouche bée, je fixe Jude dont les yeux brillent de larmes. 

-Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais ne t'approches plus jamais de ma sœur, menace-elle, sa main toujours refermée sur le col de mon pourpoint.  

Je sens le poids des regards des autres élèves, et affiche une sourire en coin sardonique. Qu'elle aille donc découvrir ce qu'il se trame... 

-Crois-moi, susurré-je, tu vas regretter ton geste.

Je ne doute pas que l'étendue de notre colère soit identique.