La Rose Éternelle 3, Ahwlalal

Chapitre 3, Incompréhension

Ilkka

Tancah bouge pour la première fois lorsqu’elle est lâchée et tombe au sol. Une grimasse se dessine sur son visage pâle à mesure qu’elle tente d’ouvrir les yeux. Agdda s’approche d’elle, à pas feutrés, comme pour ne pas effrayer Tancah :
- Ne bouge pas trop chérie, tu vas te faire mal.
Chérie ? Ils se connaissent ? Elle nous a tendu un piège ? J’essaye de me libérer mais mes liens se serre un peu plus à chacun de mes mouvements. J’y vois clair à présent. J’ai récupéré tous mes sens. Agdda continue son laïus, sa voix grinçant dans mes tympans :
- Depuis que tu es sortie de ta grotte, je sais que nous allons accomplir de grandes choses tous les deux. En fait, dès ta naissance je me suis intéressé à toi. Tu n’avais pas encore poussé ton premier cri que ta présence chez les vivants avait fait grands bruits. Bien que tes grands-parents aient tenté
de te cacher, tu m’as intrigué. Ton sang est puissant, je le sens. Maintenant que tu es là, je vais te
protéger et te donner la mort que tu mérites.
Kio se raidit à côté de moi. Je possède à nouveau tous mes sens, mais je ne comprends rien de ce qu’il dit. Les mots indépendamment ont un sens, mais ensemble ils forment un charabia indéchiffrable :
- Tu as soif, peut-être ? Après ce que tu as donné comme effort, ce serait logique. Heureusement que mes créatures sont immortelles, sinon je ne vous aurai pas capturé tous les trois.
Son sourire est hideux. Séphonéper apporte un gobelet en argent dans lequel elle verse de l’eau et ajoute quelques gouttes d’une petite fiole posée à côté de la carafe. Agdda me fixe, ses yeux passant du marron au jaune vif à mesure que son sourire s’agrandit. Il soulève délicatement la tête de Tancah et lui glisse le gobelet entre les lèvres.
J’ai beau lui hurler de ne pas boire, elle avale le liquide d’un trait avant de se laisser retomber au sol, comme si cet effort était le dernier qu’elle puisse fournir. Agdda s’approche de
nous, beaucoup moins délicat qu’avec Tancah :
- Ta magie est plus puissante qu’elle n’y paraît. Tu vas m’être très utile.
Avec deux doigts, il soulève mon menton. La diablesse s’approche de son époux, deux autres verres à la main. Dans lesquels elle a sans doute versé sa satanée poudre. Il empoigne mes cheveux, me tirant la tête en arrière, pour verser directement le liquide poisseux dans mon gosier. Je
lui en recrache le maximum à la figure, mais mes réflexes de déglutition m’en font avaler quelques gouttes.
Son sourire s’efface lorsqu’il se tourne vers Kio. Ses iris prennent l’intégralité de son globe oculaire. Il l’hypnotise. Elle boit sans opposer la moindre résistance. Nous sommes perdus. La Mort en personne envahit la pièce. Elle m’habite, me pénètre, me torture, me lacère les entrailles jusqu’à des endroits de mon propre corps que je ne soupçonnais même pas.
Tout s’embrouille, se mélange, se disloque, devient flou. Les couloirs d’une blancheur sombre s’enchaînent sans sens. Je ne parviens pas à savoir si mes pieds me déplacent seuls ou s’ils sont traînés au sol. Je m’écroule sur ce qui s’apparente pour moi à ce moment là à une paillasse. Le
cliquetis d’une serrure sonne comme un glas. Mon corps se revigore instantanément.
Quatre murs blancs. Trois lits simples. Une table basse. Kio accroupie près de Tancah.
Tancah allongée sur le dos, immobile, prononçant des paroles incohérentes. Lorsqu’elle croise mon regard, elle se met à hurler. Mon repère a peur de moi.
Je cherche à tâtons le lit sur lequel on m’a déposé, comme si j’avais tissé un lien avec lui.
J’ai besoin de ce lit. Seulement lui. Je ne trouve pas d’explication rationnelle à cette attirance. La
matière cérébrale veut sortir de mon crâne. Elle tambourine dans un vacarme incessant complété par
les cris gutturaux de Tancah.
En boule sur mon lit, les mains sur mes oreilles, je suis à nouveau seul, comme si tout recommençait depuis le début.