Chapitre 10, Le Village des Oubliés

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Ilkka

Le paysage est toujours aussi gris, à une exception près. Une colonne de fumée se détache des nuages. Il n'y a pas de fumée sans feu, c'est une évidence. Encore de moins de feu sans humains. Nous allons voir de la vie pour la première fois depuis trop longtemps. Nos ventres commencent à gargouiller de plus en plus fort, et je donnerai n'importe quoi pour un gros morceau de poulet et des pommes de terre. Plus nous approchons, plus Kio et moi nous sentons mal. J'ai envie de vomir ce que je n'ai pas, j'ai du mal à respirer alors que Tancah va de mieux en mieux :

- Arrêtez de faire les peureux, vous avez peur du noir ou quoi ?

Dans d'autres circonstances, son trait d'humour m'aurait fait rire, mais là, seule la bile se manifeste dans mon corps :

- On arrive bientôt en plus, regardez !

- Je ne sais pas ce que tu vois, mais il n'y a rien devant nous.

- Mais si ! Il y a un village pas loin, tu ne vois pas les maisons ?

Kio s'arrête :

- Tancah, il n'y a rien. Vraiment.

- Mais si ! Je compte dix maisons pour l'instant, et le feu est juste derrière.

- Est-ce que vous avez déjà vu la Mort ? nous demande Kio.

- Moi oui, mais Ilkka non, il a tué personne. Pourquoi ?

- Parce que c'est normal que Ilkka et moi ne voyons rien. C'est le Village des Oubliés. Seuls les gens ayant vus la Mort peuvent le voir.

- Comment vous allez faire pour le voir alors ?

- Je ne sais pas, les histoires que j'ai entendu dessus ne le disent pas.

- En gros, le seul moyen de le savoir c'est d'y aller.

Elles se retournent vers moi et répondent à l'unisson :

- C'est ça.

- Kio, tu connais leur histoire ?

- Bien sûr ! Déguisés en squelettes, les habitants du village célèbrent les âmes qui se réincarnent dans le monde des vivants. Le feu les guide vers les cieux, leur permettant de quitter l'inframonde. Cette cérémonie est présidée par le plus ancien du village, et se déroule en trois étapes. La première est la préparation du repas qui arrivera après, les costumes traditionnels et la préparation de la deuxième étape. Celle-ci est le centre de la cérémonie. Tous les habitants se réunissent autour d'un grand feu et récitent des incantations en langue ancestrale. La troisième s'articule autour du repas de fin, où toutes sortes de victuailles sont installées. Ce peuple possède des pouvoirs magiques incommensurables mais ils ont l'interdiction de s'en servir pendant cette journée.

- Maintenant que l'on connaît leur histoire, on peut y aller ? s'impatiente Tancah.

Je m'assois sur une souche pour réfléchir à ce qui serait le mieux, puisque Tancah est visiblement redevenue une enfant qui ne mesure pas les risques :

- Si on le contourne, on perd la possibilité de trouver de la nourriture et de nous reposer. Mais si on y va, on prend le risque qu'ils nous livrent à Agdda.

Kio s'agenouille devant moi et me prend la main :

- Il n'y a aucun risque qu'ils nous livrent. Ils étaient là bien avant la naissance d'Agdda, puisque ce sont les Dieux primordiaux qui les ont créés. Ils le détestent. Et puis, ce serait logique que la Rose se soit cachée ici. Elle y serait plus que protégée, puisque si Agdda ou ses soldats ne nous avaient pas fait entrer à Ahwlalal, jamais nous n'aurions pu. Et personne ne peut, d'ailleurs.

- Ilkka, ça veut dire qu'on y va ! me presse Tancah.

- J'arrive, j'arrive. J'ai le droit de ne pas être convaincu, non ?

Nous suivons Tancah sur le chemin vers le village, et une question me vient en tête. Sans tourner ma langue sept fois dans ma bouche, je la lui pose :

- Comment cela se fait-il que tu puisses voir le village ?

- C'est à dire ?

- Depuis quand tu peux le voir.

Elle ne me répond pas. Une larme coule sur sa joue, aussitôt rejointe par d'autres qu'elle essuie négligemment du revers de la main. Je l'ai vue plonger dans le chaos, mais jamais pleurer comme ça. Elle s'arrête, et serre la main à quelque chose d'invisible, et ses lèvres bougent mais aucun son ne sort. Je jette un œil à Kio, qui est aussi étonnée que moi. Elle semble s'énerver contre son interlocuteur, mais se calme très vite. Même le roi de la Morts n'a pas réussi à lui faire baisser les yeux. Elle se retourne vers nous :

- Ne bougez pas.

Cette fois, je l'entends. Un frisson me parcourt le corps, ma vision se brouille, mes entrailles se tordent, mon cœur est compressé, puis tout s'arrête d'un coup.

La Rose Éternelle 3, AhwlalalDonde viven las historias. Descúbrelo ahora