Bruine

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C'était l'un de ces jours moroses. L'un de ces jours que l'on voudrait piétiner d'un coup de talon furieux. L'un de ces jours où l'on aimerait dormir. Ne plus se réveiller.

Le soleil disparaissait. Rose. Orange. Gris. Tout se mélange. Je me suis assise à côté d'elle. Je lui ai dit, très sérieuse, et très mélancolique : "Tu n'as pas l'impression, parfois, que tu n'as pas le droit d'être triste ?"
J'ai détourné les yeux en disant cela. La pudeur, bien sûr. Se dévoiler mais jamais tout à fait. En garder un peu pour soi.

Mais elle n'a pas hésité une seule seconde. Ses yeux se sont remplis de pluie. Pluie de tristesse.
"J'ai tout ce qu'il me faut. C'est vrai, tu rentres chez moi et j'ai tout. Un lit. Un ordinateur. Des murs autour de moi."

Je n'ai rien dit. J'ai hoché la tête. L'heure était grave. Pour la première fois, elle n'était plus un condensé de joie qui explose aux quatre coins de la pièce. Elle était comme moi. La tête pleine. Le cœur vide. Elle était comme moi : foutrement triste.

Une larme a dégringolé le long de sa joue. Ça n'a pas fait de bruit. Pas un seul. Mais peut-être qu'elles ont résonné dans sa tête, dans son cœur, puisqu'elle s'est sentie obligée d'ajouter : "Je déteste pleurer."

J'ai mis un temps avant de répondre. "J'aimerais bien, moi, verser quelques larmes. Ca fait un an qu'elles se sont fanées."

Nous n'avons plus échangé un seul mot. Mais j'ai pensé. J'ai réfléchi et je me suis dit que c'était ridicule. Il suffit de retourner mes livres, les secouer de toutes ses forces pour assister à une douce bruine de larmes. 

Les Feuilles Mortes - RantbookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant