Nouvelle numéro 1 : Les épines piquent

105 6 4
                                    

Fais-le : 24 décembre 2096

À : Sherbrooke, Canada.

Bonjour à toi,

Je ne sais pas comment commencer cette lettre. Alors, je vais laisser mon stylo écrire librement ce qu'il me passe par la tête.

C'était en France, au tout début du 21e siècle, dans un charmant village, Sallertaine. C'est un endroit qui pourrait te plaire enfin, je crois. Ce village est niché dans la Vendée, à quelques kilomètres seulement de l'Océan Atlantique. Au-delà de cet océan, il y a l'Amérique, cette puissance économique et militaire. J'étais alors un jeune adulte d'une vingtaine d'années vivant dans ce petit village à première vue sans vie. Ce paisible hameau est au milieu des marais salants. C'est un village touristique, tu pourrais visiter plusieurs lieux. Le Moulin à vent de Rairé et la Ferme pédagogique de l'îlot Zanimo. Sallertaine est réputée pour son « île aux artisans ». Les demeures en pierre aux volets de bois soigneusement entretenus exhalaient un charme authentique. Les rues pavées s'étiraient doucement, se croisant par endroits pour former un labyrinthe de beauté provinciale.

Au cœur de cette communauté, je m'épanouissais en tant qu'étudiant, en tant qu'homme. Je n'étais pas très loin de la ville de Challans. Alors, pour le plaisir de mes parents, j'avais continué mes études. Au lycée, pour faire plaisir à Mémé, j'avais dû choisir les mathématiques en spécialité. Après un bac plus trois, j'ai intégré une école à Challans pour poursuivre mon cursus scolaire. J'avais pris place dans un master « Manager de portefeuille projets ». Étant en apprentissage dans une entreprise, je n'avais déboursé que la somme de 80 € pour ces deux ans. Évidemment, comme l'ensemble des étudiants, j'avais une contribution étudiante obligatoire demandée par l'État. CVEC, voilà le nom de cette contribution d'une centaine d'euros. J'avais eu la chance, étant plus jeune, d'avoir le droit à la Bourse des Crous, alors je n'ai pas rechigné, je suis passé à la caisse.

Dans le monde sélectif du travail, il fallait bien s'habiller. Ma tenue se démarquait : drapée dans un costume trois pièces, j'aurais pu facilement passer pour un homme d'affaires italien raffiné. Pourtant, ce costume, acquis à un prix modique, racontait une histoire malheureusement trop commune. Ce costume avait été confectionné dans les lointaines usines de la Chine, soulignant la complexité de la mondialisation. Puis, dans une boutique moyenne, ni luxueuse ni bas de gamme, j'avais acquis ce costume et d'autres. Je n'avais pas nécessairement les moyens de m'offrir des vêtements luxueux. Entre la nourriture, les abonnements divers, les frais liés à la voiture et ceux de l'appartement, j'avais une vie au centime près. Je n'étais pas comme le reste de ma famille, moi, j'avais la peur de la boîte aux lettres. J'avais des économies, mais je les ai gardées pour une nouvelle voiture.

Au cœur de mon modeste appartement, je partageais ma vie avec ma compagne, Léa. Une jeune femme au charme naturel, avec des traits délicats et une personnalité gentille et agréable. C'est une belle formule pour dire que ce n'était pas la plus belle fille de ce monde, ni de ce village d'ailleurs. Mais elle était pour moi jolie. Ensemble, nous formons un couple heureux, en apparence. Accompagnés par notre chat, une boule de poils espiègle qui ajoutait une touche d'insouciance à notre quotidien. Malgré cette harmonie apparente, notre relation était souvent ponctuée de disputes et de malentendus. Léa et moi trouvions même fréquemment plaisir à sermonner l'autre, à prodiguer des conseils avisés que nous avions du mal à mettre en pratique dans nos vies respectives.

Pour être honnête, notre histoire remontait à quelques années. Cependant, elle avait été émaillée de turbulences. Les souvenirs de notre rencontre évoquent une romance élégante : nos familles ont été informées que nous nous étions rencontrés à l'école. La réalité, cependant, était bien plus prosaïque. Nous avons été rencontrés sur une application de rencontre. Mais il fallait entamer cette relation sur un mensonge, ne pas dire la vérité à nos parents. À l'époque, elle passait son temps chez moi à mes charges. Elle n'avait pas réellement de revenu, donc à hauteur de ses moyens, elle participait, du mieux qu'elle pouvait, je crois. Et pour ses parents, c'était l'occasion de se débarrasser d'elle, depuis le temps qu'ils attendaient. J'ai rencontré au début de notre histoire ses ami(e)s, sa famille. Je n'avais rien demandé à personne, j'étais moi. Pourtant, bien avant de mettre le pied dans une pièce, ses ami(e)s et sa famille parlaient derrière mon dos. Je garde le souvenir d'un dimanche de janvier. Nous avions pris la voiture pour rejoindre des personnes chez ses parents. Quand j'ai ouvert la porte de l'entrée, un mioche.

Au Fil de mon EncreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant