Nouvelle numéro 6 : J'espère que tu n'arrêteras jamais d'écrire

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Vous savez – évidemment que non – ce que ça fait d'être un soldat qui suit à la lettre la mission que son défunt chef lui a confiée ? Vous savez – je suppose que oui – le fardeau qu'est d'accomplir le désir d'un(e) proche disparu(e) ? Vous savez – évidemment que vous savez – ce que ça fait d'être le plan B, C, voire D, bref. Vous savez ce que ça fait d'être un sous-plan de votre plan A ? Vous savez – tout le monde sait – ce que ça fait de devoir ramasser son propre cœur qu'autrui a écrasé au sol ? Vous savez qu'être idiot, une bête, un jouet, un plan B n'est pas une chose joyeuse.

Moi, toutes ces choses, je ne les connais que trop bien. Du moins, je n'ai jamais été soldat. Heureusement, sinon je serais parti face à l'ennemi dans l'espoir qu'il m'abatte. Mais sinon, toutes les autres choses, je les ai vécues et pour certaines, revécues. De toute façon, j'ai une mission tout aussi exigeante que celle de Sisyphe : ne jamais cesser d'écrire.

Vous connaissez ce genre de fille ? Celles dont le parfum persiste dans notre esprit, dont les traits du visage sont d'une finesse exquise, tout comme leurs lèvres d'ailleurs. Celles dont les yeux sont si profonds qu'on pourrait y discerner le commencement de toute chose. Ces filles qui arborent de nombreux piercings, souvent dorés, accentuent ainsi l'intensité qu'elles dégagent dans une pièce. Ce genre de connasses, pardon, ces filles qui captivent l'attention de tous les garçons. Celles qui auront toujours quelqu'un à leurs côtés. Ce genre de filles qui, d'un simple rire, pourraient résoudre à mon avis l'ensemble des conflits mondiaux.

Oui, ce genre de fille, celles trop bien pour les garçons comme moi. Les bêtes, les idiots, les jouets. Les pessimistes.

Cette fille, je ne sais pas pourquoi, m'a confié cette mission. Depuis, je suis en guerre contre moi-même, en espérant lui apporter la paix, la victoire. Mais vous savez réaliser une tâche si complexe pour une personne qui m'a abandonné - comme pour un être disparu - c'est une guerre totale.

Il faudrait que je vous explique comment je me suis retrouvé un beau matin, avant même le lever du soleil, assis dans ma douche, la jambe droite en sang. Du sang sur les mains, sur le carrelage blanc de la salle de bain. Des gouttelettes sur le parquet.

Ce n'était pas une histoire digne des plus grands films à l'eau de rose. C'était sur une application de rencontre. Le point de départ de nombreuses relations. De nombreuses nouvelles, nombreux textes. Aujourd'hui, il semblerait que ce soit plus facile comme moyen de rencontre ce type d'applications. Au début, c'était fort chaotique, avec des temps de réponse qui se comptaient en jours. Mais elle était si attirante, même derrière un écran. Alors, un jour, je lui ai donné mon numéro. Première erreur. Et nous avons discuté ; une heure, puis deux. Le lendemain et le sur-lendemain, et tous les jours d'après. C'était plaisant, nos discussions étaient fluides.

Une partie de moi me disait quand même de me méfier de ce genre de fille. Évidemment, mon cœur vivait, alors peu importe ce que mon cerveau pouvait dire, je suis resté. Parfois, je jouais le type froid, sans conversation, mais même ça, elle s'en foutait. J'avais enfin l'impression que quelqu'un s'intéressait non pas à celui que j'étais devenu, mais à celui que j'étais depuis toujours.

Je commençais à bien aimer cette personne, j'ai donc entretenu cette relation. Et au fil des discussions, elle s'avérait être tout ce que je voulais. Un jour, nous nous sommes donné rendez-vous, un soir. C'était digne des grands films de Noël, nous étions sous la neige. Dans une ville bien moins attirante que New York, mais nous étions là, face à l'autre. Deux tourtereaux sous la neige. Nous sommes partis dans un bar, étant dotés d'une mauvaise qualité, celle de ne pas savoir faire de choix. Elle ne se décidait pas dans quel bar boire. Alors en remontant une rue, à côté d'une église, un bar, un peu sombre. Nous sommes rentrés, on s'est assis. Et elle a commencé à enlever son manteau. Elle était là en sweat blanc, un bonnet sur la tête, les cheveux trempés, la respiration saccadée, ces lunettes embuées. C'était elle, l'élue. Mon cœur dès cet instant savait. C'était elle, qu'on attendait.

Au Fil de mon EncreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant