Nouvelle numéro 15 : La Belle Bête en moi

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À ceux qui me perçoivent comme un monstre,

Je vous écris non pas pour me défendre, mais pour révéler un fragment de mon être, de ma réalité, de ma quête dans un monde qui semble si souvent hostile. Lorsque je dis "vous", je m'adresse à ceux que je croise, qui me dévisagent avec une curiosité mêlée de crainte. Vous qui observez, jugez, sans jamais comprendre.

Pour vous, je suis peut-être une énigme. Ce visage que vous voyez dissimule un esprit qui lutte quotidiennement pour naviguer à travers des normes que je ne saisis pas toujours. Je ne suis pas une aberration, mais un reflet déformé d'une réalité à laquelle je n'appartiens que partiellement. Dans ce monde, chaque interaction est un défi, un marathon sans fin.

Je suis cet enfant qui cherche à s'intégrer, à se fondre parmi vous. Pourtant, chaque mot que je prononce attire les regards. La peur s'installe, dense comme un brouillard. Vous me trouvez différent, anormal. Peut-être avez-vous raison, mais qu'est-ce que cela signifie vraiment, "être normal"? Pour vous, cela paraît simple. Pour moi, chaque geste, chaque parole est un acte de courage.

Je me souviens d'un jour à l'école, lorsque des garçons ont ri. Une blague peut-être ? "Bizarre", ont-ils dit. Ce mot m'a frappé comme un coup de poing. Nu, exposé, piégé. "Regarde-le, il est bizarre !" Cette phrase résonne encore en moi, telle une lame acérée. À cet instant, disparaître aurait été un soulagement. Leurs rires, comme des tambours, appelaient à l'exclusion, scandant mon isolement.

Dès lors, je me suis forgé une armure, une façade. Je souris, je fais semblant d'être celui que vous attendez. Mais en moi, c'est le chaos. Chaque mot que j'essaie de formuler est une lutte. Je cherche la logique, mais elle m'échappe. J'aimerais tant vous dire ce que je ressens, mais les mots se pressent, désordonnés.

Il y a des matins où je me lève plein de force, décidé à conquérir le monde et à prouver que je ne suis pas un monstre. Mais la réalité frappe tôt. Une conversation, un regard insistant, et mes rêves s'effondrent. Je suis un naufragé sur une plage déserte. La solitude est ma compagne. Elle réconforte autant qu'elle enferme.

Éponge, je ressens tout. Chaque sourire, rire, murmure derrière mon dos. Vous ne le voyez pas, mais cela m'envahit. Vous croyez que je ne comprends pas vos subtilités ? Au contraire, je les perçois parfois mieux que vous. Les sous-entendus et les ironies se gravent en moi comme des cicatrices.

Parfois, j'aimerais crier, faire comprendre que derrière mon silence se cache un monde riche et vibrant. Mes passions, mes obsessions – elles font partie de moi. J'adore les couleurs qui se fondent dans le crépuscule. Je me perds dans ces détails que vous ignorez. Je suis cet enfant émerveillé par le vol d'un papillon ou l'éclat des étoiles. Ces instants me rappellent que la beauté existe malgré la douleur.

Malgré tout, l'angoisse me pèse. La peur d'être incompris, rejeté. Ces soirées passées seul, avec la musique comme unique compagnie, me voient rêver d'un ailleurs loin des regards accusateurs. La musique me sauve, elle me transporte. Elle est une caresse pour mon âme, un rappel que je ne suis pas seul dans ma souffrance.

Je vous offre cette lettre, non pour chercher la pitié, mais pour vous inviter dans mon univers. Je veux que vous compreniez que vous ne voyez qu'une partie de moi. Le monstre que vous percevez est aussi un rêveur, un créateur. Je ne suis pas défini uniquement par mon autisme. Je suis un être humain avec des rêves et des espoirs.

Je veux que vous sachiez que je ne suis pas seulement mon diagnostic. Je suis cet artiste qui peint avec ses émotions, cet écrivain qui invente des histoires pour fuir une réalité parfois cruelle. Je rêve d'un monde où la différence est une richesse.

Parfois, je me demande si ma voix sera un jour entendue. Si je pourrai montrer que la différence est une force. Que je pourrai marcher la tête haute. Pour cela, il faut que vous ouvriez les yeux, regardiez au-delà des apparences. Venez explorer mon monde, qui est aussi le vôtre. Car au fond, nous sommes tous des créatures étranges, portant chacun ses cicatrices.

Oui, je suis peut-être ce que vous appelez un monstre, mais sachez qu'il y a un cœur derrière cette façade, une âme, un être en quête de connexion. Je suis fragile, cherchant un endroit où me sentir en sécurité.

Peut-être qu'un jour, nous construirons ensemble un pont entre nos mondes. Ce jour-là, vous verrez au-delà du monstre et découvrirez la beauté cachée dans mon esprit.

Je conclus ces mots en espérant qu'ils résonneront en vous. Ouvrez vos âmes. Ensemble, écrivons une nouvelle histoire où la différence est célébrée, non stigmatisée.

Avec respect et espoir,

Un enfant caché dans un monstre.

Au Fil de mon EncreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant